GARNACHA

La Sardaigne en revendique la paternité mais l’Espagne soutient mordicus que son origine est espagnole et que la Navarre est son lieu de naissance. Compte tenu du polymorphisme rencontré en Espagne sur ce cépage (noir, blanc, gris, ainsi que les peluda à feuilles velues), la balance penche plutôt en faveur d’une origine espagnole.

La grenache a un défaut, elle peut produire des vins lourds et à fort degré d’alcool. C’est dû à la floraison précoce mais à la maturation tardive. Cependant, il résiste à la sécheresse en particulier quand les vignes sont taillées en gobelet, et aux fléaux actuels des maladies du bois de la vigne, ce qui lui garantit un futur prometteur. Mais 85% de la grenache sont cultivées en Espagne et en France et son expansion dans les pays du Nouveau Monde est limitée, contrairement au tempranillo qui est en passe de devenir un cépage international. C’est un cépage au double visage. D’un côté il produit certains des vins les moins chers et de l’autre certains des vins les plus chers avec des vignes parfois centenaires et pré-phylloxériques.

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SOURCE: needpix.com

DISTRIBUTION EN ESPAGNE

Ses terroirs de prédilection sont la Navarre, le Priorat, la Méntrida, le Gredos, l’Aragon, la Calatayud et certaines parties de la Catalogne qui peuvent produire des rouges exceptionnels. En Navarre, c’était la variété la plus largement plantée avant que le phylloxéra ne détruise les vignes et jusque dans les années 1870, ce cépage représentait encore 90% de l’encépagement.

Espagne : on en cultive de 70 140 hectares soit environ 6,5% du vignoble espagnol, principalement dans les communautés autonomes d’Aragon au nord-est (20 000 hectares, ce qui représente 45% du vignoble de la région), Castille-la Manche au centre du pays (21 000 ha) mais on en trouve aussi en Castille et León, en Catalogne, dans La Rioja, à Madrid, en Estrémadure, en Navarre et à Valence, soit un peu partout en Espagne sauf le nord-ouest et dans le sud du pays . C’est le troisième cépage rouge le plus planté en Espagne après le tempranillo (207 677 hectares) et le bobal (80 120 hectares). Pendant des années, l’écrasante présence de la garnacha a donné au tempranillo une aura plus importante. Mais l’émergence du Priorat dans les années 1990 a remis le cépage sur le devant de la scène car compte tenu des rendement minuscules dans cette région, les vins devaient se vendre chers et le viticulteurs surent surfer sur la vague de popularité de la région pour redonner son lustre au cépage. On existe aussi de nombreuses vieilles vignes de garnacha taillées en gobelet qui prolifèrent dans plusieurs régions espagnoles comme, Campo de Borja, Cariñena, Costers del Segre, Madrid, La Manche, Méntrida, Penedès, Somontano, Tarragone, Terra Alta, Utiel-Requena et Valdeorras. Même dans La Rioja, où le tempranillo règne en maître, il est désormais reconnu, sous l’impulsion d’Alvaro Palacios ,que le Garnacha est le cépage le plus adapté pour la Rioja Occidentale (anciennement Baja). Les vignobles de garnacha comprennent  souvent une proportion de garnacha peluda, ou « grenache duveteuse ».

Malheureusement les cépages internationaux sont arrivés pour le meilleur et souvent pour le pire et l’encépagement a chuté de 24 000 hectares à 3 000 hectares. La résurgence de la variété doit beaucoup au Priorat sous l’impulsion de locomotives comme Álvaro Palacios et René Barbier notamment. Compte tenu des tanins et de l’acidité relativement faible des raisins de ce cépage, il est souvent assemblé avec du mazuello (carignan). Traditionnellement, dans la Rioja l’utilisation a toujours été axée sur les assemblages. La grenache peut apporter la générosité qui fait souvent défaut au tempranillo. Elle se prête bien à l’utilisation de vendanges entières lors de la vinification. Les plus belles expressions de ce cépage viennent du Priorat, cultivées sur les llicorellas et il donne des vins profonds, complexes et de longue garde. On en recense 70 140 hectares en Espagne

DISTRIBUTION DU CÉPAGE INTERNATIONALEMENT

Californie : Le grenache noir aurait été introduit en
Californie à Santa Clara fin des années 1850 et il a principalement et planté
dans la Central Valley pour élaborer majoritairement des vins de dessert et des
rosés et pour les consommateurs qui voulaient une alternative au zinfandel
blanc. On en cultive environ 2 500 hectares dans principalement dans la Sierra
Foothills dans les AVAs d’El Dorado et de Madera . On en compte une centaine
d’hectares dans l’État de Washington et un peu moins dans l’Oregon. Il est
également cultivé de l’Arizona et du Texas.

Mexique : sa résistance à la sècheresse en fait un cepage
adapté au Mexique où il est planté dans la Basse-Californie.

L’Amérique du Sud: n’a pas adoubé ce cépage et on n’en
recense que 30 hectares en Argentine. Il est quasiment absent du Chili.

Australie : L’Australie est le pays du Nouveau Monde où
cette variété est la plus plantée avec environ 5 000 hectares mais elle a perdu
du terrain face à la syrah (Shiraz) et cabernet sauvignon qui la devancent
aujourd’hui après avoir été dans les années 1960 la variété la plus plantée. On
la trouve principalement dans la vallée de Barossa, McLaren Vale, Riverland et
Langhorne Creek, mais aussi à un degré moindre dans la de Clare Valley, le Swan
District et les Collines d’, Adelaïde, l’Eden Valley et Heathcote. La variété
est aussi connue pour produire des vins dans un style Tawny qui ne sont pas
sans ressembler au Porto de ce style.

Afrique du Sud : n’a pas été très enthousiaste sur cette
variété où on en recense 150 hectares. Mais on commence à trouver d’excellentes
grenaches d’altitude de vieilles vignes dans la région du Swartland ce qui
devrait stimuler l’intérêt des producteurs pour ce cépage.

VIEILLES VIGNES DE GRENACHE AU DOMAINE DE CHARLES MELTON DANS LA BAROSSA VALLE. SOURCE: Charles Melton Wines. http://www.charlesmeltonwines.com.au

CARACTÉRISTIQUES DU CÉPAGE

C’est un cépage au débourrement précoce et à maturation relativement tardive donc à cultiver dans des climats assez chauds. Il est vigoureux mais sa vigueur est réduite sur des sols sableux. Il convient également aux sols légèrement acides, graveleux ou caillouteux et aux sols riches en calcaire. Il doit être taillé court et la taille gobelet est la mieux adaptée pour ce cépage. Il est sensible au mildiou et au botrytisme. Il peut aussi être affecté par le millerandage. Il donne de taux de sucre potentiellement élevé dans les grains qui perdent leur couleur si les rendements sont trop élevés. Les niveaux d’acidité ont tendance à être modérés mais souvent faibles. Il possède une bonne résistance à la sécheresse et Il est résistant aux maladies du bois (esca et eutypiose), ce qui peut expliquer en partie la remarquable longévité de certaines vignes. C’est l’un des cépages les plus plantés au monde mais paradoxalement la grande majorité des plantations de ce cépage sont en France, en Espagne et en Sardaigne. Comme le pinot noir, il fait peur aux viticulteurs car il donne facilement des vins lourds avec des degrés alcooliques élevés et il donne peu de couleur.

SYNONYMIE

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GARNACHA, LA GRENACHE, LE GRENACHE, CANNONAU : THAT IS THE QUESTION.

Écrire sur ce cépage me donne toujours un sentiment de légère appréhension en sachant que le correcteur orthographique de mon traitement de texte n’aura de cesse de me faire des remontrances pour m’indiquer que je devrais écrire le grenache alors que j’ai toujours écrit la grenache. Et… si je commettais un crime de lèse-majesté contre la langue française, le cépage et son histoire et me couvrais de ridicule auprès de mes quelques lecteurs fidèles ? Il est vrai que la notion de genre dans la langue française est intuitif et n’obéit pas à des règles particulières. On peut facilement pardonner à un étranger qui veut apprendre la langue de Molière de faire quelques écarts sur le genre mais pour un autochtone c’est presque rédhibitoire même si celui-ci s’est frotté journellement, comme votre scribe, à la langue de Shakespeare pendant un quart de siècle. Le genre, c’est comme le vélo cela ne s’oublie pas. Alors le grenache ou la grenache ?
Peut-être que les origines du cépage pourraient nous éclairer.
C’est un cépage très ancien si on en juge par le nombre impressionnant de ses synonymes[1]. L’analyse que la synonymie relève trois origines possibles : la France, l’Espagne et l’Italie. On en cultive 94 250 hectares en France, ce qui en fait le deuxième cépage le plus planté du pays après le merlot. L’Espagne en cultive 75 000 hectares ce qui en fait le cépage le plus planté après le tempranillo (210 000 hectares) et le bobal (85 000 hectares) et l’Italie 6 250 hectares cultivés principalement en Sardaigne sous le nom de cannonau avec un autre foyer de 400 hectares en Vénétie sous le nom de Tocai Rosso. L’origine de ce cépage se trouve indéniablement dans l’un de ces trois pays. Si c’est la France, alors il faut s’en remettre aux linguistes et le nom est plus que probablement le grenache comme l’indique les correcteurs orthographiques.

SOURCE: @Magnetto. Wikimedia Commons

Si c’est l’Espagne alors, il faut appeler ce cépage le grenache, car il est appelé la garnacha en espagnol. Si c’est l’Italie alors abandonnons le nom de grenache ou garnacha et appelons le cépage le ou la cannonau car c’est un cépage de la Sardaigne qui, de toute façon, n’est pas reconnu par les correcteurs orthographiques les plus importants (Reverso, Scribens, Cordial etc.).
Pas de cocorico pour La France qui ne revendique pas la paternité du cépage car celui-ci fut d’abord connu sous le nom de garnacha quand il est arrivé dans le Roussillon à la fin du XIXe siècle avant de s’étendre à d’autres régions comme le Languedoc, le Vaucluse et la Provence. Compte tenu de la distribution géographique de la Garnacha, que l’on trouve en Aragon, en Castille-la-Manche, en Castille et Léon, en Catalogne, dans la Rioja, à Madrid, en Navarre, à Valence, en Extremadura autant dire presque dans toute l’Espagne, son origine est sans doute espagnole. Cela résout le problème du genre et la traduction française du cépage résolue et votre scribe a raison d’écrire la grenache. David aurait donc gagné contre Goliath. Certes pas de quoi porter un coup fatal à la Silicon Valley mais pas une victoire à la Pyrrhus ; un combat loyal de l’être humain contre la machine où pour une fois l’humain sort vainqueur.
Mais … mais, alors que l’on pensait le match plié pour les Espagnols et contre toute attente, les Italiens ont décidé de mettre leur grain de sel et de revendiquer l’origine du cépage sous le nom de cannonau. Pour eux, le cépage serait originaire de la Sardaigne. Et Basta ! Puisque nous ne pouvons pas pousser de cocorico pourrions-nous avoir un chicchirichi’ de nos amis Italiens? Quelle outrecuidance quand même mais au pays de la « pasta », tout est possible et les bougres ne sont pas sans arguments. Des relations culturelles et commerciales existent entre la Sardaigne et la péninsule Ibérique depuis près de 1 000 A.V. J.C. La Sardaigne fut aussi une colonie espagnole entre 1479 et 1720. De plus, les références au cépage soient sous le nom de Garnacha soit sous le de cannonau apparaissent au même moment dans la littérature au mitan du XVIe siècle.

VIGNE DE CANNONAU. SOURCE: Azienda Vitivinicola Giuseppe Sedilisu http://www.giuseppesedilesu.com/

L’étymologie pourrait-elle nous aider ? Le nom proviendrait de vernaccia, un cépage de grande réputation en Europe au Moyen-Âge, ce qui pourrait expliquer que la garnacha est encore appelée bernarcha dans certaines parties de l’Aragon. Mais le nom de la variété pourrait aussi faire référence au mot catalan « garnaxa » qui était la robe portée par les juges royaux (Jancis Robinson et. al. The Wine Grapes).Bon…Plus de légende, que des fait concrets et quand la légende se mêle à l’histoire cela n’est guère encourageant pour la vérité. Mais les analyses ADN me direz-vous ? Pas plus concluant que l’histoire car le parentage du cépage reste à ce jour inconnu donc cela ne fournit aucun indice pour identifier une possible origine. Les variétés anciennes ont tendance à évoluer au fil du temps sans pour autant que leur ADN change. On appelle ce phénomène le  polymorphismegénétique.
​Un exemple concret pour ce mot abscons vous fera comprendre facilement de quoi il s’agit. Tous les êtres humains partagent le même ADN mais ils ont des groupes sanguins différents (A, B, AB, O) ; c’est un exemple classique de polymorphisme génétique. Pour le cépage en question, dont on ne sait plus comment l’appeler à ce stade, il a muté pour produire deux autres biotypes[1]connus sous le nom de garnacha bianca (blanc) et garnacha roja (grise). Une autre modification s’est aussi produite qui affecte le duvet du dessousde la feuille et cette mutation à donné naissance une garnacha connue sous le nom de garnacha peluda mais ce ne sont pas des cépages différents, juste du polymorphisme génétique. Quand les scientifiques sont confrontés à un problème de diversité polymorphique, l’endroit où se trouve la plus grande diversité est le centre de l’origine de la variété. Or toutes les variations (garnacha bianca, roja, garnacha peluda) dues au phénomène de polymorphisme ont été observées en Espagne et pas en Sardaigne. De plus, les études ampélographiques et génétiques ont mis en évidence une plus grande diversité clonale de lagarnacha que du cannonau. La messe est donc dite et de la variété penche fermement vers une origine espagnole plutôt qu’italienne du cépage.
1]Ensemble des caractères permettant de définir différents groupes au sein d ‘une même espèce.