Des similitudes troublantes:
Des similitudes dans les caractéristiques organoleptiques respectives du zinfandel de Californie, du plavač malic de Croatie et du primitivo du sud de l’Italie, incitèrent en effet à penser, de prime abord, que ces cépages n’en faisaient en réalité qu’un seul. Pourtant rien n’était moins évident quand on ne s’en tenait pas qu’aux apparences.
Une quarantaine d’années d’un véritable et méticuleux travail de détective, d’analyses et de recherches menées par à la fois par des scientifiques, des ampélographes et des historiens, ont finalement permis d’élucider l’énigme des origines du zinfandel… Leurs conclusions confirment et… infirment, à la fois, ce que l’on subodorait.
De plus, cette traque interminable, riche en rebondissements, a eu comme conséquence de conférer au zinfandel un statut quasi mythique car la quête des origines des principaux cépages utilisés aujourd’hui dans le monde mobilise et passionne l’oenologie contemporaine.
Un premier indice sur l’origine du zinfandel:
Une origine californienne de ce cépage était plus qu’improbable, pour la simple et bonne raison qu’il n’y avait pas de Vitis Vinifera sur le continent américain avant l’arrivée des Conquistadores espagnols au Mexique, en avril 1519. Ce sont eux qui l’ont introduite. Or, ce qui laissait perplexe, c’est que le zinfandel n’est pas un cépage espagnol, ni même européen.
Une découverte dans la littérature spécialisée du XIX° conduisit, dans un premier temps, vers une piste, celle d’une éventuelle origine hongroise. Dans son ouvrage paru en 1820 « Zinfandel : a History of a Grape and its Wines [1], » Charles Sullivan[1] révélait que des ceps de ce plant avaient été importés du jardin botanique impérial de Schőnbrunn à Vienne pour une pépinière de Long Island aux Etats-Unis. Puis à partir de là, pendant plusieurs décennies, il fut cultivé par des amateurs dans le nord-est des Etats-Unis et vinifié pour être consommé comme vin de table.
C’est un autre pépiniériste, Frédérick Macondray, qui décida de l’envoyer en Californie en 1852 sous le nom de zinfandel où, compte tenu de son adaptabilité au terroir et au climat chaud californien, il se développa rapidement pour satisfaire la demande assoiffée des chercheurs d’or à l’époque de leur Grande ruée vers l’Ouest.
Mais sa présence à l’institut botanique de Vienne, à l’époque de la splendeur de l’Empire austro-hongrois qui incluait aussi la Croatie, ne constituait pas en-soi la preuve d’une possible origine magyare.
Zinfandel et primitivo : un seul et même cépage ?
Une avancée majeure dans l’identification de son origine n’intervint qu’en 1967, quand le Dr Austin Goheen, un scientifique de l’Université œnologique californienne de Davis (UC-Davis) en visite dans la région italienne de Puglia, goûta par hasard un vin local appelé primitivo qui lui rappela fortement le zinfandel. Il demanda alors à voir les vignes et en conclut que le zindandel et le primitivo étaient très certainement le même cépage avec deux noms différents.
Pourtant cela ne résolvait en rien l’origine du premier. Aucune archive italienne ne mentionnait le primitivo comme un cépage autochtone italien et les recherches génétiques confirmèrent que le celui-ci ne faisait pas partie du patrimoine ampélographique de la péninsule. On échafauda alors toutes sortes de théories, toutes plus improbables les unes que les autres[ii].
ADN et le séquençage génétique :
Confirment: Zinfandel = primitivo
Mais infirment: Zinfanel = plavač mali
ZINFANDEL DE VIGNES VIGNES EN CALIFORNIE
Quelque temps plus tard, à l’instigation de Mike Grgich, un viticulteur de renom d’origine croate et travaillant en Californie, une nouvelle piste allait s’ouvrir : la piste croate. Loin de faire l’unanimité, elle attira cependant l’attention de scientifiques et, en particulier, celle du Dr Carole Meredith, professeur de génétique de l’université d’UC Davis. En mai 1998, elle fit un déplacement en Croatie sous l’égide de son l’université et de la Faculté agricole de l’Université de Zagreb pour sélectionner 150 échantillons de plavač mali provenant de 40 vignobles différents.
Ces analyses effectuées à l’université de UC Davis allaient confirmer que le plavač mali et le zinfandel étaient des cépages différents, mais qu’ils étaient néanmoins étroitement liés, soit comme parents ou soit comme descendants l’un de l’autre. En outre, il apparut qu’ils partageaient aussi des caractéristiques communes avec d’autres cépages croates comme la plavina, le grk, le crljenak viški et le vranac. La piste croate de l’origine du zinfandel venait donc d’être établie [iii].
L’identification de l’ancêtre croate du zinfandel : un vrai travail de détective:
Des recherches génétiques additionnelles mirent en évidence que le zinfandel était bien le parent du plavač mali. Mais où donc se trouvait le zindandel croate d’origine ? Où avait-il tout simplement disparu? On lança donc un appel à tous les propriétaires de vignobles pour qu’ils signalent aux universitaires s’il existait sur leurs parcelles des pieds de vigne pouvant être du zinfandel. Il fallut attendre l’automne 2001 pour qu’on découvre à Kaštela une très ancienne variété appelée crljenak katelanški (prononcer: tzurlyenik kashtelyansky). Puis un an plus tard, on découvrit près de la ville d’Omiš la même variété sous le nom de pribidrag. Seuls 25 pieds de ce cépage ont été répertoriés à ce jour [2]. Des recherches historiques furent alors entreprises et montrèrent que la variété pribidrag était présente en Damaltie depuis au moins 500 ans.
Il ne restait plus maintenant qu’à identifier le cépage avec lequel la variété pribidrag ou crljenak kastekanški (les deux noms retenus pour identifier le cépage originel du zinfandel) s’était croisée pour obtenir le plavač mali. Des analyses génétiques additionnelles confirmèrent que le pribidrag s’était croisé (sans doute naturellement) avec le dobričić (prononcer: dobritchitche) autre cépage authentiquement croate.
La boucle était enfin bouclée. On avait rendu à la Croatie ce qui n’avait jamais appartenu à la Californie…
[1] Zinfandel, : Un histoire du cépage et de ses vins.
[2] Aujourd’hui les viticulteurs de Dalmatie ont déjà replanté 30 hectares (200 000 pieds) de pribidrag. Il faudra attendre quelques années pour voir si la qualité de l’ancienne variété est supérieure au plavač mali. Source Plavač Mali. A croatian grape for great wines. ISBN 978-953-55938-0-5.
[i] Sullivan L Charles (2003) : a history of its grape and its wines University of California Press. Berkeley.
[ii] N. Mirośević and C.P. Meredith (2000). A review and research of literature related to the origin and identity of the cutivars Plavač mali, Zinfandel and Primitivo (Vitis Vinifera L.) Agriculturae Conspectus Scientificus 65:45-49.
[iii] Maletić E., Pejić J. Koroglan Kontić, J. Piljac, G.S. Dangi, A. Vokurka, T. Lacombe, N. Mirośević and C.P. Meridith (2004). Zinfandel, Dobričicć and Plavač mali: The Genetic Relationship among three cultivars of the Damatian Coast of Croatia. Am J Enol Vitic 55 (2):174-180.