10 questions sur le bois noir, une jaunisse dont les symptômes augmentent dans plusieurs vignobles
Ces dernières années, les symptômes de bois noir augmentent dans plusieurs régions viticoles. Voici les réponses aux questions que vous vous posez sur cette jaunisse très préoccupante pour le vignoble français et européen.
Par Christelle Stef Le 30 janvier 2024. Vitisphere
Symptômes de bois noir sur un cépage rouge – République Tchèque 2007. – crédit photo : Xavier Foissac INRAE
Qu’est-ce que le bois noir ?
Une jaunisse à phytoplasmes. Ces derniers sont de petites bactéries sans paroi qui se multiplient dans la sève élaborée. Le phytoplasme responsable du bois noir s’appelle Candidatus phytoplasma solani. Il est différent de celui qui provoque la flavescence dorée, l’autre jaunisse bien connue des viticulteurs. «Candidatus phytoplasma solaniest endémique du bassin euroméditerranéen et associé à d’autres maladies des solanacées comme le stolbur de la tomate, du maïs… Il est courant dans la flore sauvage et a de nombreuses plantes hôtes», a précisé Xavier Foissac, directeur de recherche à l’Inrae lors d’un webinaire organisé par l’IFV le 14novembre 2023.2 Quels symptômes le bois noir provoque-t-il ?
Les mêmes que ceux de la flavescence dorée : décoloration des feuilles (rouge ou jaune) avec un enroulement vers la face intérieure du limbe, flétrissement des grappes et des vrilles, absence de lignification des bois en fin de saison. Visuellement, «on ne peut pas discerner les pieds atteints de bois noir de ceux touchés par la flavescence dorée lors des prospections au vignoble», insiste Xavier Foissac. Seul un diagnostic moléculaire dans un laboratoire agréé permet de distinguer ces deux jaunisses. Ces dernières années, les symptômes de bois noir ont augmenté dans plusieurs vignobles : Alsace, Bourgogne, Jura, Champagne et Bordelais.
Par le matériel végétal infecté ou par un insecte. En effet, si on prélève des greffons sur une souche malade pour les multiplier, ceux-ci risquent fort d’héberger le phytoplasme. Quant au vecteur du bois noir, il s’appelle Hyalesthes obsoletus. Cet insecte de la famille des hémiptères – comme les cigales et les cicadelles – acquiert le phytoplasme en se nourrissant sur une plante contaminée. Quatre à cinq semaines après avoir piqué une plante infectée, il peut transmettre le phytoplasme à une autre plante. C’est le temps nécessaire pour que les bactéries circulent et se multiplient dans son organisme. Une fois qu’un insecte a acquis le phytoplasme, il reste infectieux tout au long de sa vie. Toutefois, les femelles infectées ne transmettent pas les phytoplasmes à leurs œufs.4 Quel est le cycle du vecteur ?
Hyalesthes obsoletus produit une seule génération par an. Les femelles pondent leurs œufs à proximité des racines de plantes sauvages (au niveau du collet, dans les cinq premiers centimètres du sol) afin que les larves s’en nourrissent. Ces larves passent par 5 stades (de L1 à L5) avant de devenir adultes. Après l’éclosion des œufs, elles migrent dans le sol. Puis l’insecte hiverne aux stades L2 et L3 à des profondeurs allant de 20 à 40cm et d’autant plus importantes qu’il fait froid. Les larves reprennent leur développement au printemps avec l’élévation des températures. En juin, elles émergent sous forme d’adultes ailés pour se disséminer dans la nature à la recherche de nouvelles plantes sur lesquelles déposer leurs œufs. «C’est au gré de ces pérégrinations que Hyalesthes obsoletus peut s’alimenter sur la vigne», expose Xavier Foissac.5 Quelles sont ses plantes hôtes ?
Principalement les orties et le liseron. C’est sur ces deux plantes que les larves se nourrissent et se développent. Les adultes sont moins exigeants. Ils peuvent se nourrir sur une grande variété de plantes parmi lesquelles la vigne. «Hyalesthes obsoletus a développé deux écotypes, l’un adapté au liseron et l’autre à l’ortie. Il y a des populations qui vivent uniquement sur le liseron (et qui sont inaptes à se développer sur d’autres plantes), et d’autres uniquement sur l’ortie. Et de façon étonnante, la bactérie s’est également diversifiée. On s’aperçoit que les liserons sont porteurs de certaines souches de la bactérie et les orties d’autres souches. En Europe de l’Ouest, la souche Tuf B est associée au liseron et la Tuf A à la grande ortie. Mais de nouvelles souches bactériennes émergent régulièrement comme la Tuf B2 qui est apparue en Autriche et en Europe centrale où elle est associée à la grande ortie», détaille le chercheur.
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Bien lutter contre le bois noir pour venir à bout de la flavescence dorée6 Le bois noir est-il très épidémique pour la vigne ?
Non, car le vecteur ne réalise pas son cycle sur la vigne. Il peut se nourrir sur la vigne, mais il ne transmet pas le phytoplasme d’un cep à un autre. Pour cette raison, le bois noir ne se développe pas en foyer, contrairement à la flavescence dorée. «Cette maladie est présente plutôt en bordure de parcelle, et de manière sporadique à l’intérieur des parcelles, sauf si on y trouve des liserons ou des orties.»7 Qu’est-ce qui détermine son incidence au vignoble ?
Avant tout le cépage. Certains y sont très sensibles, comme le riesling, le chardonnay, le sauvignon et le cabernet-sauvignon. D’autres ont une sensibilité intermédiaire comme les pinots, et d’autres encore, comme les muscats, y sont peu sensibles. Ensuite, la présence de grandes orties ou de liserons (des champs ou des haies) à l’intérieur ou en bordures des parcelles favorise le vecteur et la maladie. De même, il faut savoir que H. obsoletus affectionne les terres peu enherbées, chaudes et sèches.
La dynamique du bois noir est cyclique, avec une alternance de fortes pressions de la maladie suivies de périodes où elle reste stable et plus discrète. Les causes de ces variations sont inconnues.8 Peut-on parler d’une maladie chronique ?
Oui, car un plant infecté le reste à vie. Mais les ceps âgés peuvent exprimer des symptômes une année et aucun l’année suivante. «Après trois ans sans symptômes, on peut penser qu’un cep est rétabli», explique le chercheur, tout en précisant que, même si elles se rétablissent, les vignes restent infectées et continuent d’héberger le phytoplasme dans leurs racines. Il s’agit donc d’une maladie chronique car un cep ne se débarrasse jamais de la bactérie qu’il exprime ou non des symptômes selon son état physiologique. Quand aux vignes en première feuille, souvent elles ne résistent pas à la maladie et meurent.9 Y a-t-il des risques de voir la maladie s’aggraver ?
Oui, pour deux raisons. La première est l’existence d’un autre vecteur du phytoplasme dans les Balkans, dénommé Reptalus panzeri. S’il arrivait en France, la maladie pourrait se répandre plus vite. La deuxième raison serait l’apparition de nouveaux écotypes de Hyalesthes obsoletus dans notre pays comme il en existe déjà ailleurs. «En Serbie, certaines populations de Hyalesthes se sont spécialisées sur la crépide fétide (Crepis foetida).» De quoi étoffer les effectifs de cette espèce.10 Comment suivre les populations de bactéries ?
Grâce au séquençage de leur ADN. C’est ce qui permet de tracer les génotypes qui circulent. En France, des tests réalisés en 2004 avec le marqueur génétique secY ont permis d’en distinguer trois dans le vignoble : un associé à l’ortie (S6) et deux aux liserons (S1 et S4). Grâce à des études plus poussées, les chercheurs ont pu montrer qu’en Alsace et en Bourgogne, c’était principalement le génotype associé aux orties qui était présent, que dans le Sud-Est, c’était l’un des génotypes associés aux liserons et, que dans le Sud-Ouest, c’était les trois génotypes. Mais en utilisant un autre marqueur génétique, le vmp1, plus résolutif, les chercheurs ont détecté dix génotypes en France. En utilisant de tels marqueurs, on peut donc identifier plus finement les plantes réservoirs locales.
Les conseils pour prévenir la maladie
Éliminez les plantes hôtes au printemps ou à l’automne, mais surtout pas en été car sinon le vecteur ira sur la vigne. Enherbez les parcelles pour limiter la présence de liserons et d’orties qui se développent plutôt sur les sols nus. Le couvert végétal va également favoriser la rosée, ce qui est défavorable au vecteur qui préfère les sols secs. En cas de travail du sol, intervenez plutôt en mars, au moment où les larves du vecteur reprennent leur développement. Les insecticides sont inefficaces, la présence du vecteur dans les vignes étant trop fugace. Arrachez les ceps symptomatiques dans les parcelles. Plantez et replantez avec du matériel végétal traité à l’eau chaude. Un projet de recherche piloté par l’IFV est en cours pour vérifier l’efficacité de ce traitement.