Sélection massale ou sélection clonale

Un débat sans vainqueurs ni vaincus

​La sélection massale consiste, dans un premier temps, à sélectionner les meilleurs pieds de vigne d’un vignoble ancien, habituellement de plus de cinquante ans dans le but de perpétuer la diversité qui s’est créée au fil du temps. La deuxième phase consiste à prélever des greffons et à les transplanter sur les vignobles sélectionnés.
​Par opposition, la sélection clonale consiste à produire des ceps génétiquement identiques sur une période d’une vingtaine d’années pour ensuite les commercialiser. Un vignoble peut être planté avec un seul clone ou plusieurs clones.

​Jean Michel Cazes, propriétaire des Châteaux Lynch Bage et les Ormes du Pez utilise la sélection massale pour le ré-encépagement de ses vignobles depuis 2005. Il argumente :  » les vieux vignobles sont le résultat d’observations, d’adaptations et d’optimisations de la vigne sur son terroir. La diversité génétique nous donne une meilleure garantie contre les maladies dans des situations adverses voire même catastrophiques qui seraient plus à même de menacer les vignobles de sélections clonales ». La sélection massale pourrait donc être perçue comme une sélection darwinienne où la nature ne serait plus détentrice des clés de l’évolution car elle pourrait bénéficier, à l’occasion, d’un petit coup de pouce d’interventions humaines ?

​Il faut quand même s’interroger sur le niveau de diversité génétique apportée par la sélection massale. Quand il n’y a pas d’hybridation donc de brassage de l’ADN, les cépages ne se transforment que par mutations génétiques qui, certes peuvent conférer une meilleure résistance mais pas au point de protéger la vigne contre une catastrophe comme le phylloxéra.
​L’argument qualitatif qui conduit à utiliser la sélection massale plutôt que la sélection clonale semble plus recevable. Mais est-il convaincant ? Il faut rappeler que la sélection clonale n’existe que depuis un quart de siècle et qu’avant cette date, la propagation se faisait uniquement par sélection massale. Pourtant, le vignoble en général n’a jamais été aussi menacé aujourd’hui depuis le phylloxéra.

Feu Mark Bixler, du domaine Kistler Vineyards déclare:  » nous utilisons les clones californiens Wente pour nos chardonnays, dont on peut tracer l’origine dans la région de Livermore à une cinquantaine de kilomètres à l’est de San Francisco il y a une centaine d’années. Leur floraison est très mauvaise et ils produisent de tout petits grains de raisin à la limite du millerandage. Leur peau est épaisse et la couleur jaune paille. Ils ont une concentration en minéraux importante. L’acidité est élevée et le fruit citronné est particulièrement gourmand ». Mais il ajoute :  » je suis sûr qu’au départ il y a plus d’une centaine d’années, ce raisin n’était pas comme il est aujourd’hui. La sélection clonale ne doit pas se faire en opposition à la sélection massale. Vous pouvez tout à fait utiliser la sélection massale jusqu’à ce que vous arriviez à ce qui vous convient puis cloner le cépage comme cela s’est fait avec le Wente ».
Pour les aficionados du clone, la sélection massale est dangereuse car l’ examen visuel pour identifier les meilleurs ceps ne dit rien de ce qui peut se passer à l’intérieur du pied. « Même si les vignes apparaissent saines », dit Roumier,  » on ne peut pas exclure la présence de virus qui se transmettront dans le nouveau vignoble. Même si je n’ai pas, avec la sélection clonale, la même diversité qu’avec la sélection massale » ajoute Roumier, « je plante en général pas moins de 8 clones et 10% du vignoble sont plantés avec des sélections massales. Cela évite la standardisation que l’on reproche aux clones ». Malheureusement persifle-t-il:  » On choisit souvent des clones trop prolifiques, car ceux-ci existent mais si vous voulez faire de la viticulture de qualité alors il faut choisir des clones qui ne sont pas trop productifs ».
Et puis, il y a la viticulture. On ne conduit pas la culture des vignes d’un vignoble de sélection clonale de la même façon que l’on conduit celle d’un vieux vignoble. Les jeunes vignes seront de toute façon plus prolifiques, même si l’on a choisi des clones peu productifs. Il faut donc tout faire pour juguler la vigueur de la vigne. On sait aujourd’hui que c’est possible de faire des petits rendements avec des jeunes vignes en contrôlant leur vigueur. Il faut tailler plus court, limiter l’apport d’engrais, faire de la concurrence à la vigne avec l’ enherbement des rangs et opter pour les tailles les moins productives.
Le débat, sélection massale versus sélection clonale, ne serait-il pas un faux débat ? Le vrai débat ne serait-il pas le contrôle des rendements, facteur sine qua non de la qualité?