Le DUAD dans la prise de conscience avec le brillant retour aux bases moléculaires de la dégustation de vin par le docteur Axel Marchal à l’occasion du demi-siècle de la formation à la dégustation de l’école bordelaise d’œnologie.

Par Alexandre Abellan Le 09 juillet 2024. VITISPHERE

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De la complexité aromatique du vin à l'humilité de la dégustation, vous en reprendrez bien un DUAD ?

L’enseignement du DUAD est utile même pour les experts pensant ne pas en avoir besoin plaide Axel Marchal, faisant le parallèle avec l’entraînement des sportifs de haut-niveau. – crédit photo : Alexandre Abellan

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êtant ce jeudi 4 juillet les 50 ans d’existence du Diplôme Universitaire d’Aptitude à la Dégustation (DUAD), le docteur Axel Marchal, son responsable pédagogique, a placé sa dégustation anniversaire sous le signe de la chimie organique : béta-ionone, eugénol, gaïacol… Rassurant ceux ayant gardé de mauvais souvenirs de ces noms, ou ceux espérant encore y échapper, le professeur des universités à l’Institut de Sciences de la Vigne et du Vin (ISVV) rappelle l’importance de la dégustations de solution de molécules aromatiques dans la formation propre à l’école bordelaise d’œnologie. Alors qu’« il existe beaucoup de formations de dégustation », il y en a « peu à l’université » et « beaucoup [qui sont] privées », le DUAD adopte une « approche de la dégustation qui est assez unique. Unique, ça ne veut pas dire meilleure. C’est comme le vin, ça n’a aucun sens de dire qu’il est le meilleur, ce qui compte, c’est qu’il ait son identité. »

Plus ou moins agréables au nez et au palais, les solutions proposées à la dégustation à l’aveugle dans la salle Denis Dubourdieu (promoteur du DUAD) ont rappelé des souvenirs à certains, ont beaucoup appris à tous. Un exercice qui n’est pas fait « pour briller dans les dîners mondains en citant des noms de molécules que personne ne comprend, mais pour connaître le vin en profondeur » pose Axel Marchal, qui illustre avec chaque exercice l’humble labeur nécessaire à une dégustation précise, éclairée et objective des vins.

Entre la psychologie et l’œnologie

L’association de molécules aromatiques précises à des descripteurs différents témoigne de la nécessité de parler le même langage entre dégustateurs. Comme une solution présentant des arômes de vanille pour les uns, ou de crème pâtissière pour les autres… Voire de Smecta, le médicament utilisant de la vanilline. Autre illustration avec une solution pouvant avoir selon les personnes une odeur d’anis, ou de réglisse, ou de « pastis que j’entends parfois. Ce qui est un révélateur des habitudes de consommation de chacun. Ici, personne n’ose le dire. Mais on entre alors dans la psychologie et l’œnologie » sourit Axel Marchal. La richesse lexicale des descripteurs pour une même odeur pose logiquement une question : « comment parler du vin à partir du moment où l’on ne parle pas tous la même langue ? » interroge l’œnologue, relevant que l’enjeu du signifiant et du signifié alimente déjà bien des réflexions linguistiques.

Pour le vin, « il faut être sûr d’être audible. [Avec les formations de l’ISVV] nous sensibilisons à l’enjeu de ne pas être dogmatique en disant que quand je trouve une odeur et que tu ne sens pas la même chose, c’est que tu as tort. Non. Il peut y avoir plusieurs regards sur même odeur. » Une pluralité des descriptions alimentée par la diversité des seuils de perception. Exemple avec l’odeur de violette, la β-ionone, qui est particulièrement discriminante entre ceux qui sont très sensibles et les autres la percevant difficilement : « il faut savoir que quand on déguste, on n’a pas tous les mêmes perceptions. Il faut avoir une connaissance de soi-même » résume Axel Marchal.

Un grand dégustateur, ce n’est pas celui qui est sensible à tout

Le responsable pédagogique du DUAD répète son credo : « il n’existe pas de dégustateur parfait. Un grand dégustateur, ce n’est pas celui qui est sensible à tout. Nous avons tous des variations. Nous avons tous à peu près les mêmes prédispositions naturelles. Ce qui change, c’est l’entraînement. C’est la capacité à se connaître et avoir, par des chemins de compensation, une vision du vin la plus juste du vin. ça n’est pas grave. Ce qui compte, c’est d’avoir une vision générale du vin. »

Technico-esthétique

Après la description objective des caractéristiques techniques d’un vin, vient l’expression de son appréciation esthétique, des qualités aux défauts… Au détour de solutions d’éthylphénols (4-éthylphénol et gaïacol), Axel Marchal évoque la condition de levure d’altération de Brettanomyces bruxellensis. Alors que la notion de défaut est discutée dans la filière, notamment entre tenants d’une netteté classique et les défenseurs d’une liberté esthétique du vin nature, encore faut-il s’entendre sur la notion de défaut prévient l’œnologue : « il ne s’agit pas de mauvaise odeur (la question des goûts et couleurs, ça ne se discute pas), c’est une odeur banalisante, avec un caractère nivelant. C’est une standardisation. » Ce qui amène Axel Marchal a faire la « différence entre le bon et le beau ». Sachant qu’une odeur peut être un honnie chez les uns, et recherché chez les autres… Comme l’arôme de curry, le sotolon, qui sera jugée négativement sur un vin blanc de Meursault, mais sera à sa place dans un vin jaune de Château-Chalon.

Votre souffrance ne va pas aller croissant

Ayant enchaîné les solutions aromatiques, cette dégustation finit par « passer au vin : votre souffrance ne va pas aller croissant » lance Axel Marchand aux professionnels réunis. Pour marquer le coup, l’ISVV a sollicité des propriétés prestigieuses* pour illustrer deux révélateurs de terroir. D’abord l’enjeu de la maturité pour le cabernet sauvignon, cépage international mais loin d’être standard pointe Axel Marchal. Pour qui le problème récurrent de qualité des vins de cépages intenationaux vient de variétés réputées qui sont implantées dans des climats inadaptés à leur maturité complète : « les vins ayant la meilleure identité ne sont pas issus de raisins repus de soleil, mais de raisins à maturité et frais. Plutôt dans la partie Nord de là où il est possible de les faire mûrir. Ce n’est pas évident, il faut un effort. »  Ce que le défunt journaliste Pierre Veilletet résumait par : « il n’y a pas de grand vignoble prédestiné, il n’y a que des entêtements de civilisation ». Avec son lot de contraintes pédoclimatiques relève Axel Marchal, citant également Denis Dubourdieu : « un grand vin, c’est un handicap surmonté ». Dans la lignée du regretté professeur d’œnologie, vigneron à Sauternes, Axel Marchal conclut cette dégustation par 3 grands vins de pourriture noble et une déclaration d’amour à Botrytis cinerea : « exhausteur de terroirs et de cépages, plus qu’une tendance à standardiser par le sucre. Je ne vois pas ces vins comme sucrés, mais comme suraromatiques. »Toujours le DUAD dans la prise de compétence aromatique.

* : Notamment le château Léoville Las Cases (grand cru classé en 1855 à Saint-Julien), qui soutient historiquement la case de l’ISVV en partageant chaque année ses vins avec l’université. Saluant la fidélité et le soutien de la famille Delon, Axel Marchal souligne l’importance d’un accès aux grands vins pour former les professionnels de demain : « on ne peut pas faire rêver si l’on n’a pas de rêves en tête ».