5 que le maréchal d’Estrées qui deviendra maréchal de France en 1625, remet aux moines chartreux la formule d’un élixir qui comprend la quasi-totalité des plantes médicinales répertoriées à cette époque. D’où tient-il le fameux grimoire ? De Constantinople peut-être, avance Michel Steinmetz, auteur de Chartreuse. Histoire d’une liqueur[i]. Cette recette s’apparente sans doute plus à une encyclopédie de plantes médicinales qu’à une vraie recette et elle ne fera l’objet d’aucune attention particulière des moines pendant des décennies. En 1737, le monastère de la Grande-Chartreuse (proche de la ville de Grenoble) décide d’en faire une étude exhaustive.  L’Elixir Végétal de la Grande-Chartreuse  est né. Il titre 69° (mazette). La Chartreuse Verte, 55°, dite « liqueur de santé », est mise au point en 1764. La Révolution française de 1789 allait  disperser les moines dont un seul sera autorisé à rester au monastère jusqu’en 1816, date à laquelle la congrégation se réforme. En 1838, une nouvelle liqueur voit le jour : la « Mélisse », dont le nom deviendra Chartreuse Blanche en 1840. Elle sera produite de 1838 à 1880 et de nouveau de 1886 à 1900. Et en 1838, la formule de la Chartreuse Verte sera adaptée pour produire une liqueur plus douce et moins alcoolisée, la « Chartreuse Jaune », rapidement surnommée « la reine des liqueurs ». Mais, en 1903, suite à la loi de 1901 sur les associations qui pénalise fortement les congrégations religieuses, les moines chartreux seront expropriés suite à ce qui ressemble plus à une arnaque financière qu’à un conflit idéologique entre un ordre religieux et un gouvernement anticlérical. Ils choisissent Tarragone comme destination où ils ouvrent une distillerie. Ils fabriqueront également leur liqueur à Marseille de 1921 et jusqu’en 1929, sous le nom de « Tarragone ». Ce départ amènera un haut responsable politique à faire une remarque qui passera à la postérité historique : ‘comment peut-on chasser des gens qui nous font si bien digérer’.   Les biens français des Chartreux sont alors confisqués par le gouvernement qui essaiera de relancer la marque mais ce sera un fiasco. Les actions de la société, qui ne valent plus rien, car elle  est en faillite, sont rachetées par des hommes d’affaires qui en font don aux moines chartreux, ce qui leur permet  de récupérer officiellement  leurs biens et de reprendre la distillation à  Fourvoirie.  Un glissement de terrain détruit la distillerie près de Grenoble dans la nuit du 4 au 5 décembre 1935. Elle sera reconstruite à Voiron avec l’aide des ingénieurs de l’armée. C’est toujours dans cette ville que la Chartreuse est distillée. C’est en 1989 que la distillation à Tarragone s’arrête et elle est maintenant uniquement fabriquée à Voiron.   Depuis 1970, c’est une société commerciale qui gère la commercialisation de la production des Chartreux, environ un million de bouteilles par an. Consommée principalement  en France, elle s’exporte aussi dans de nombreux pays.

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LE MARÉCHAL D’ESTRÉES

LA LIQUEUR DE CHARTEUSE

C’est un secret bien gardé et on ne sait pas grande chose de sa composition à part ce que les moines veulent bien en dire et ils ne sont guère loquaces sur ce sujet [1]. Seul le procureur, Dom Benoît et son adjoint,  Frère [2] Jean-Jacques  en possèdent la recette. Une troisième personne serait en formation pour pénétrer dans le cénacle restreint des initiés. La liqueur serait composée de 130 plantes, épices, racines, fruits dont un tiers proviendrait de France. Ce serait  la chlorophylle  qui donnerait la couleur à la Chartreuse Verte alors que le safran  ou peut-être le curcuma donnerait la couleur jaune à l’autre grande liqueur des Chartreux. On ne peut pas s’empêcher de noter des notes de curry prononcées sur les Chartreuses Jaunes.

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DOM BENOÎT

La première page du manuscrit légué par le maréchal d’Estrées, qui fut la seule à être dévoilée,  indique une partie de la composition des plantes qui entre dans l’assemblage. On y trouve la mélisse, l’armoise la  bétoine, la matricaire, le chardon bénit, la petite centaurée, la lavande, la sauge. le  cassis (feuilles), la marjolaine, l’hysope, le mélilot et le  thym. Comme la recette n’a fait  l’objet d’aucun  dépôt ou de brevet et   sa formule jamais déposée ni protégée autrement que par le sceau du secret bien gardé, ces liqueurs restent inimitables, “souvent copiées mais jamais égalées”.   Personne ne peut disputer à ce breuvage sa place au panthéon des liqueurs et sa capacité de vieillissement semble infinie. En vieillissant, elles acquièrent une complexité extraordinaire et il faudrait  le talent de Rimbaud, Baudelaire et Verlaine réunis pour en capter toute la quintessence et la transcrire en langage poétique

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LES CHARTREUSES DE TARRAGONE MEILLEURES QUE LES CHARTREUSES DE VOIRON OU DE FOURVOIRIE

Il est bien difficile de savoir si l’effet mode prime sur la qualité intrinsèque des  liqueurs   dans ce débat mais il est incontestable que les chartreuses  de Tarragone ont acquis une notoriété qui surpasse celle des Chartreuses faites à Voiron.   Plusieurs raisons abondent dans le sens d’une qualité supérieure de la Chartreuse Tarragone. D’abord, il est possible que la qualité de certaines plantes ait été supérieure dans cette partie d’Espagne, plus chaude qu’à  Fourvoirie ou à Voiron. Ensuite, et c’est sans doute le facteur le plus important, l’alcool utilisé pour l’élaboration de la Chartreuse Tarragone Verte est de l’alcool vinique alors qu’en France on utilisait de l’alcool de betterave moins chère mais moins qualitative. La Chartreuse Jaune a toujours été élaborée avec de l’alcool vinique. D’autre part, la région de Tarragone voue à cette liqueur une telle dévotion  qu’il s’est développé une vraie culture de la collection. Ce sont les prix élevés des Chartreuses de Tarragone  qui ont incité les collectionneurs à se séparer de leurs précieux flacons. Il faut aussi ajouter que certaines plantes se raréfient ou deviennent plus difficiles voire  impossibles à  trouver quand elles proviennent de pays en guerre ou sous embargo. A cela, il faut aussi ajouter la raréfaction des ramasseurs de plantes et la perte du savoir-faire au fil du temps. Enfin, les Chartreuses faites en France avant la période tarragonaise ont quasiment disparu du circuit commercial. Il est donc bien difficile de comparer avec rigueur les différentes qualités. Cela contribue sans aucun doute  au mythe de la Chartreuse Tarragone.

CONSERVATION, MATURATION, VIEILLISSEMENT

La liqueur se conserve debout parce que l’alcool  finit par ‘manger’ le bouchon qui tombe dans la bouteille donnant souvent   à celle-ci un goût de moisi et la rendant intransportable. Elle doit aussi être conservée aux alentours de 12-13°C sans variation de température et sans vibrations excessives.  La baisse du niveau de la bouteille ne semble pas avoir des conséquences néfastes sur la qualité de la Chartreuse et ne doit pas être un critère de rejet pour l’achat à la différence du vin. La Chartreuse Jaune vieillit et se patine plus vite que la Chartreuse Verte sans doute parce que cette dernière est plus élevée en alcool  et que les diverses plantes et épices mettent plus de temps à se marier avec l’alcool. Le potentiel de garde est très long certainement plus d’une centaine d’années.

LES LIQUEURS PRODUITES À TARRAGONE

Il y aura 11 formats différents de Chartreuse produits à Tarragone de 1904 a 1989

CHARTREUSE TARRAGONE 1904-1930

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Les Chartreux ont perdu leur marque, leur étiquette et leur bouteille. La cartouche a disparu  a été remplacée par un losange avec le sigle CAR pour ‘cartujos’ en espagnol ou ‘cartoixans’ en Catalan ce qui signifie Chartreux. Disponible  en 1 L, 50 cl, 25 cl et 12,5 cl.

CHARTREUSE TARRAGONE 1912-1913

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Très rare, cette liqueur a été uniquement élaborée pour l’exportation. Elle possède une cartouche sablée surmontée d’un globe de 7 étoiles avec la mention « fabriquée à Tarragone par les pères Chartreux ». Existe en 1l, 50 cl, 25 cl et 12,5 cl.

CHARTREUSE TARRAGONE 1921-1929 EMBOUTEILLÉE À MARSEILLE

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Distillée à Tarragone et expédiée par bateau à Marseille pour réduire les coûts et les taxes mais aussi pour préparer le retour des Chartreux en France. Pas de cartouche mais une étiquette en losange avec la mention CAR.

CHARTREUSE TARRAGONE 1930-1945

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Double étiquette. La cartouche est sablée surmontée d’un globe crucifère à 7 étoiles avec la mention ‘GRE CHARTEUSE’. Disponible  en 1 l et 50 cl.

CHARTREUSE TARRAGONE 1945-1951

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Double étiquette avec cartouche sablée. Globe crucifère à 7 étoiles avec l’indication ‘ GDE CHARTREUSE. Contenance unique 75 cl.

CHARTREUSE TARRAGONE 1951-1959 ‘EL LICOR CUMBRE’

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Surnommée ‘El licor Cumbre’ (le sommet de la liqueur) dans le cadre d’une campagne publicitaire de l’époque. Cartouche non sablée en relief avec son globe et ses 7 étoiles et la mention ‘GDE CHARTEUSE’. Disponible en 75 cl et 37.5 cl.

CHARTREUSE TARRAGONE 1960-1965 ‘LA SEISENTA’

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Appelé ‘ La Seisenta’ en référence à la création de la ‘Chartreuse SAE’ qui supplante l’Union Agricola. Cartouche en relief non sablée avec globe et 7 étoiles avec mention ‘GRE CHARTREUSE’. Contenance : 75 cl et 37,5 cL

CHARTREUSE TARRAGONE 1965 -1966 EL GURÑO

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Nommée « El gruño » (le cabochon) par les Espagnols. Sa durée de vie fut courte car les cabochons qui constituaient la cartouche s’entrechoquaient et cassaient. Le cabochon porte la marque SCDVO. Contenance : 75 cl et 37,5 cl.

CHARTREUSE TARRAGONE 1966-1973 LA FABIOLA

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Cette bouteille nommée ‘La Fabiola’ en l’honneur  de la princesse Fabiola d’Aragon qui épousa en 1960 le roi Baudouin de Belgique. Elle aurait été distillée en 1960 et mise en bouteille quelques années plus tard.

CHARTREUSE TARRAGONE 1973-1985

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CHARTREUSE TARRAGONE 1985-1989

Le degré passe de 43°à 40° mais uniquement pour la Jaune en 1973. Le sceau de grande taille est ovale et irrégulier avec l’inscription Chartreuse. Contenance : 75 cl et 37,5 cl. CAPSULE BRONZE ET ARGENT.

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[1]  Chartreuse, histoire d’une liqueur Michel Steinmerk , 2006, 143 pages, 30 euros)
[2] Les frères se consacrent aux travaux manuels nécessaires à l’entretien du monastère et à la subsistance matérielle des pères, lesquels passent la majorité de leur temps en cellule.

[1]  Chartreuse, histoire d’une liqueur Michel Steinmerk , 2006, 143 pages, 30 euros)
[2] Les frères se consacrent aux travaux manuels nécessaires à l’entretien du monastère et à la subsistance matérielle des pères, lesquels passent la majorité de leur temps en cellule.

[1]  Chartreuse, histoire d’une liqueur Michel Steinmerk , 2006, 143 pages, 30 euros)
[2] Les frères se consacrent aux travaux manuels nécessaires à l’entretien du monastère et à la subsistance matérielle des pères, lesquels passent la majorité de leur temps en cellule.