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COMMENT LE CORPS HUMAIN FAIT-IL FACE À L’ALCOOL ET SOMMES TOUS ÉGAUX DEVANT SA CONSOMMATION ?

PRÉAMBULE

Contrairement au tabac que l’organisme humain ne peut pas métaboliser, car sa consommation est relativement récente et date du début du XVIe siècle, le corps humain aurait été programmé pour boire de l’alcool depuis 10 millions d’années [i]. On pensait, jusqu’à présent, que notre capacité à métaboliser l’alcool datait du Néolithique, il y a une dizaine de milliers d’années, époque à laquelle les premiers humains se sont sédentarisés. Car pour faire de la fermentation en quantité consommable par une population, il faut tout un équipement qui n’existait pas avant cette date. Mais, Il y a environ 10 millions d’année, la Terre s’est refroidie, les sources de nourriture ont changé et certains primates a commencé à explorer la vie sur terre. Et ce nouveau mode de vie signifiait que, pour la première fois, les primates commençaient à manger non seulement les fruits cueillis dans les arbres, mais aussi les fruits tombés. Et les fruits tombés, lorsqu’ils sont exposés à des bactéries présentes dans l’environnement convertissent les sucres en alcools et commencent à accumuler de l’éthanol. Cela a amené un accroissement important de l’enzyme ADH4 (voir ci-dessous), qui est l’une des deux enzymes de détoxification de l’alcool.

LE MÉTABOLISME DE L’ALCCOL PAR LE CORPS

Le corps métabolise l’alcool de deux façons.

  1. Par l’oxydation de l’alcool par deux enzymes, l’alcool déshydrogénase (ADH) et l’acétaldéhyde déshydrogénase (ALDH).

L’alcool est converti en acétaldéhyde par l’enzyme alcool déshydrogénase (ADH) qui, à son tour, est convertie en acide acétique par d’autres enzymes, les   aldéhydes déshydrogénases(ALDH).

L’alcool a une faible toxicité et l’acide acétique est non toxique.

C’est l’acétaldéhyde, le produit intermédiaire, qui est potentiellement le composant toxique de ce processus.

Cette substance est classée comme potentiellement nocive pour l’homme mais n’est pas encore classée comme substance cancérigène faute de preuves concluantes. Son classement est en groupe 2B soit substance cancérigène possible [1].

Dans le corps humain, l’acétaldéhyde est rapidement métabolisé par l’organisme et on ne le retrouve qu’en faible quantité lorsque le sujet est intoxiqué (moins de 1 µM) [ii]. Il est totalement absent lorsque l’alcool a été éliminé de l’organisme [iii].

Récemment, en 2023, une équipé de recherche de l’Université de Californie Davis a mis en évidence la substance responsable des maux de tête de certains sujets lors d’une consommation modeste de vin rouge. Un flavanol appelé quercétine, présent presque exclusivement dans le vin rouge, est transformé dans l’organisme en diverses substances. L’une d’eux, le quercetin 3-O-glucuronide, s’est avéré particulièrement efficace pour bloquer l’enzyme qui convertit l’acétaldéhyde en acide acétique [iv].

2. Grâce au cytochrome P 4502E1 (CYP2E1)

Le cytochrome [2] P 4502E1 (CYP2E1) est la deuxième voie la plus importante du métabolisme de l’alcool. Le cytochrome convertit l’alcool en acétaldéhyde qui est ensuite converti en acide acétique par les enzymes acétaldéhyde déshydrogénase (ALDH). Cependant, les radicaux libres [3] générés lors de l’absorption de l’alcool ne semblent pas être responsables du stress oxydatif, et de l’ensemble des agressions causées puisque l’activité du cytochrome et les autres marqueurs du stress oxydatif ne sont pas corrélés chez les sujets consommateurs excessifs et chroniques d’alcool [v] [vi] [vii] [viii]

Il apparaît également que seulement 10 % du métabolisme de l’alcool est réalisé par la voie des cytochromes [ix] .

En cas de consommation modérée d’alcool, il n’y a pas d’accumulation d’acétaldéhyde et pas d’activation du cytochrome CYP2E1, donc pas de production de radicaux libres pouvant provoquer l’induction de cancers.

NB : Cependant, une consommation chronique excessive d’alcool avec présence d’une accumulation d’acétaldéhyde, aussi petite soit-elle, et l’activation du cytochrome CYP2E1 sont des causes très probables d’augmentation du risque de cancer.

On peut logiquement conclure qu’il existe un « seuil » de consommation d’alcool au-delà duquel des risques sont pris par le consommateur. Nous tenterons d’établir cette limite de sécurité (risque minimum) dans un prochain article.

TOLÉRANCE À L’ALCOOL : SOMMES-NOUS TOUS ÉGAUX ?

Nous observons une grande variabilité dans la capacité des deux enzymes qui métabolisent l’alcool entre hommes et femmes, jeunes et vieux et entre différentes populations du monde. Les femmes n’ont pas la même capacité que les hommes à métaboliser l’alcool car l’expression génétique de leur alcool déshydrogénase est plus faible que chez les hommes [x]. Historiquement, les femmes ont bu moins d’alcool que les hommes donc ont acquis moins de résistance.

Il existe sept types différents d’alcool déshydrogénases (ADH1 à ADH7). De même, il existe plusieurs variantes de l’enzyme acétaldéhyde déshydrogénase. Les deux enzymes présentent également un polymorphisme génétique[4].

C’est le polymorphisme sur l’enzyme ADLH2 qui a le plus d’importance. L’ADLH2*1 est présente chez tous les Caucasiens et c’est une enzyme très active, tandis que l’ADLH2*2, présente chez 50 % des Asiatiques, est largement inactive.

Les sujets déficients en ADLH2*1 présentent une accumulation d’acétaldéhyde lors de la consommation d’alcool qui se traduit par une accumulation de sang au niveau du visage (effet rougeur) et des signes d’intolérance à l’alcool (maux de tête, hypotension, tachycardie et brûlures gastriques).  Cela leur confère soit un avantage contre l’alcoolisme, car les effets négatifs ont un effet dissuasif sur la consommation d’alcool, soit un risque accru de cancer de l’œsophage s’ils persistent dans la consommation[xi] [xii] [xiii]. Une recherche a révélé que 41 % des Japonais qui ne consommaient pas d’alcool présentaient un déficit en ADHL2, alors que seulement 2 % appartenaient au groupe qui consommait de l’alcool. De même à Taïwan, 30 % des sujets étaient déficients en ALDH2 dans le groupe ne consommant pas d’alcool alors qu’il n’y en avait que 6 % dans le groupe consommant de l’alcool [xiv] [xv].

Ce sont les différences culturelles qui expliquent le phénomène. La qualité de l’eau s’est détériorée au Moyen Âge, à mesure que les villes s’agrandissaient. Afin de rendre l’eau potable, les Caucasiens utilisaient la technique aseptique de fermentation car ils possédaient des vignes et des céréales tandis que les Asiatiques faisaient bouillir l’eau car ils cultivaient du thé. On peut donc conclure que le processus de neutralisation de l’alcool au sein de l’organisme varie au sein de la population mondiale mais qu’au sein de groupes bien identifiés il peut être relativement homogène.

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[1] https://www.cancer-environnement.fr/fiches/expositions-environnementales/acetaldehyde/#:~:text=L%27acétaldéhyde%20est%20un%20liquide,retrouvé%20naturellement%20dans%20l%27environnement.

[2] l Famille d’enzymes, comportant de très nombreux membres, qui sont responsables du métabolisme oxydatif de molécules très diverses d’origine endogène (hormones stéroïdes, acides gras, vitamines, …) ou exogène (médicaments, polluants, toxiques, et agents divers.

[3] Tout ce qui génère des attaques au niveau des cellules pour nous faire vieillir ou encore nous rendre malades est dû aux radicaux libres. Ils sont produits lors de certaines situations familières : la respiration, le tabagisme, les infections, les inflammations, le stress, l’exposition solaire, l’exposition aux polluants, l’apport alimentaire excessif

[4] Différentes variantes des enzymes, ce qui est très courant dans la nature. Il reflète l’adaptabilité de l’être humain à différents environnements. Les différents groupes sanguins chez l’homme sont sans doute le meilleur exemple pour comprendre ce qu’est le polymorphisme générique.

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  • Ability to consume alcohol may have shape the primate evolution. Science.org. 2014.
  • Enzymes  du métabolisme de l’alcool. disc.vjf.inserm.fr/basisrapports/alcool_effets/alcool_effets_ch2.pdf
  • Eckström et  Ingelman-Sundlerg .Rat liver microsomal NADPH supported oxidase activity and lipid peroxidation dependent on ethanol-inducible cytochrome P450 (P450 IIE1).Biochem Phamacol 1989.38:1313-1319.
  • Inhibition of ALDH2 by quercetin glucuronide suggests a new hypothesis to explain red wine headaches. Apramita Devi, Morris Levin et Andrew L. Waterhouse. 2023. https://www.nature.com/articles/s41598-023-46203-y
  • Dupond I, Bodenez P, Berthou F, Simon B, Bardou LG, Lucas D. Cytochrome P4502E1 activity and oxidative stress in alcoholic patients. Alcohol 2000, 25:98-103.
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  • LUCAS D, MENEZ C, GIRRE C, BODENEZ P, HISPARD E, MENEZ JF. Decrease in cytochrome P4502E1 as assessed by the rate of chlorzoxazone hydroxylation in alcoholics during the withdrawal phase. Alcohol Clin Exp Res 1995a, 19: 362-366
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  •  Crabb DW, Matsumoto M, Chang D, You M (February 2004). « Overview of the role of alcohol dehydrogenase and aldehyde dehydrogenase and their variants in the genesis of alcohol-related pathology ». The Proceedings of the Nutrition Society 63 (1): 49–63. doi:10.1079/PNS2003327. PMID 15099407
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