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Le Féret tarifie 160 € la dégustation notée par un critique du vin

Source: Witisphere

Nouvelle étape dans la marchandisation de l’influence des critiques avec le lancement d’achat de temps et de notes de dégustation par les éditions Féret proposant l’accès assuré à sept critiques.

Par Alexandre Abellan Le 06 octobre 2023

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Le Féret tarifie 160 € la dégustation notée par un critique du vin

« Tout s’achète : l’amour, l’art, la planète Terre, vous, moi » écrivait Frédéric Beigbeder dans 99 francs (2000, éditions Grasset). – crédit photo : Editions Féret

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Pour les amateurs de vin s’inquiétant de savoir si les notes de dégustation qu’ils lisent dans une revue sont influencées par la publicité dans le numéro précédent, les choses sont claires avec l’offre proposée par les éditions Féret. Connu historiquement pour ses parutions précédant et accompagnant les classements de grands crus bordelais au XIXème siècle, le Féret vit avec son temps en se digitalisant et en facturant son influence : « il s’agit d’une marketplace qui permet aux producteurs abonnés à la solution digitale Bordeaux et ses Vins [NDLA : de 45 à 195 €/mois] de faire déguster les millésimes de leur choix [pour un] coût de prestation de 160 € par dégustation d’un journaliste » résume à Vitisphere Stéphane Zittoun, le directeur général éditions Féret, précisant que « les producteurs non abonnés, et d’autres régions que Bordeaux peuvent aussi avoir accès à ce service pour un coût supérieur » (incluant la gestion logistique des échantillons et la traduction en huit langues des notes).

« Pour les producteurs, c’est l’opportunité de faire déguster le vin de leur choix, du millésime qu’ils souhaitent, par le journaliste qu’ils ont choisi, et au moment voulu » argumente un communiqué, précisant que « parmi les journalistes de renommée mondiale partenaires de Féret »on trouve Bernard Burtschy, docteur en statistiques ex-Le Figaro, actuellement critique pour Les Echos et Valeurs Actuelles, Jonathan Choukroun Chicheportiche, à la tête du site et quadrimestriel Vert de Vin, Colin Hay, professeur des universités à Sciences Po Paris correspondant pour Drinks Business à Bordeaux, Chris Kissack, à la tête du site WineDoctor, Xavier Lacombe, formateur et blogueur écrivant pour Sommeliers International, Jeff Leve le créateur du site the Wine Cellar Insider, Richard Hemming, consultant titulaire du Master of wine écrivant pour le site de Jancis Robinson. En tout, sept critiques « qui seront rapidement rejoints par d’autres noms aussi prestigieux » promet le site.

Principe de l’enchère absconse

Transparente dans son approche économique de revenus supplémentaires pour le Féret et les critiques, l’opération peut cependant poser des questions au consommateur. « En fait, c’est le principe de l’enchère absconse : tout le monde va tendre vers la note maximale » avance à Vitisphere le professeur des universités Fabrizio Bucella, titulaire du cours de mathématiques de l’incertitude à l’Université Libre de Bruxelles et vidéaste/écrivain prolifique sur le vin*. Le risque pour lui est que « les dégustateurs sont choisis par les châteaux. Les dégustateurs qui remettent une meilleure note sont logiquement privilégiés par les châteaux. Corollaire : les dégustateurs remettent les meilleures notes possibles. Donnons directement 100 à tous les vins, et le tour est joué. »

Critique balayée

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Un risque que réfute Stéphane Zittoun. Pour son directeur, « Féret n’est pas une machine à blanchir les mauvais vins, mais plutôt un accélérateur de notoriété pour les vins qui sont en dessous des radars de ces journalistes, ou pour lesquels ils ont un besoin de note (vendre un stock sur une zone en particulier par exemple). » Et de préciser par le menu que « le journaliste a l’obligation de goûter, mais évidemment son objectivité n’est pas à remettre en question. Nos contrats avec eux le spécifient : si le vin présenté ne le mérite pas, et si le journaliste ne souhaite pas que son nom apparaisse accolé à ce vin, ils n’a même pas l’obligation de donner un score et une note. De son côté, le producteur est également prévenu que son vin sera dégusté avec objectivité, et qu’il court le risque de la mauvaise note. Mais il le sait souvent déjà, donc il ne présentera sans doute pas de vins dont il n’est pas fier. En complément, le producteur peut choisir s’il affiche/utilise le score, la note, les deux ou aucun des deux. De son côté, le journaliste décide s’il indique cette dégustation sur son media (site web, réseaux sociaux) ou non. »

En phase de relance sur le web depuis ce printemps, le Féret indique avoir reçu 4 000 visiteurs sur son site en juin 2023. Si le site ne communique pas son nombre d’abonnés payants, actuellement 3 291 propriétés bordelaises apparaissent sur la base de données « Bordeaux et ses vins ».

* : Sur ce thème, le professeur Fabrizio Bucella va tenir ce lundi 9 octobre à Bordeaux une conférence, Faut-il faire confiance aux experts ?, pour le lancement des Vendanges du Savoir à l’université de Bordeaux .