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LES CISEAUX MOLÉCULAIRES : UNE TECHNIQUE RÉVOLUTIONNAIRE POUR AMÉLIORER LA RÉSISTANCE DE LA VIGNE

Claude Gilois: http://www.terroirsdumondeeducation.com


​CRISPR-Cas9 OU CISEAUX MOLECULAIRES

CRISPR-Cas9 [1], c’est sous ce nom abscons et un peu barbare que l’on désigne cette technique révolutionnaire qui a fait l’objet d’une première publication dans la revue américaine ‘Science’ en 2012. Conceptuellement, les séquences CRISPR ne sont pas nouvelles et proviennent de la découverte de la capacité d’une bactérie à incorporer un fragment de l’ADN d ‘un virus dans son propre ADN. Si le virus[2] ayant le même génome se manifeste à nouveau, alors la bactérie produit une protéine, Cas9 et un petit ARN[3] qui guide la protéine vers le génome du virus et le coupe en morceaux. Le virus est ainsi détruit.

Depuis la sédentarisation humaine, l’être humain n’a pas de eu de cesse de croiser des variétés (animales et végétales) pour obtenir des caractéristiques avantageuses, pour produire des plantes et des animaux plus résistants, plus goûteux et aux meilleurs rendements. Ces croisements étaient empiriques et ne donnaient pas toujours des résultats intéressants car on ne connaissait rien de la générique.
Depuis 1980, il existe des techniques de biotechnologie qui permettent la manipulation du génome et d’insérer ou d’enlever des éléments génétiques mais ces techniques sont très compliquées à mettre en oeuvre tout en étant coûteuses avec une probabilité de succès somme toute assez faible. Depuis 2 000, sont arrivées un ensemble d’enzymes[4] qui agissent comme des ciseaux pour couper, faire entrer, faire sortir ou remplacer un gène à un endroit précis. La découverte d’une quatrième génération d’enzymes appelées CRISPR-Cas9[5] a constitué une véritable rupture. La seule chose requise est l’ARN guide pour aller chercher sur le génome l’endroit où les modifications doivent être faites. Il est particulièrement facile de générer de l’ARN avec des robots. L‘ARN est reconnue par la protéine Cas9 et elle scanne le génome. Dès que l’ARN guide trouve sa cible sur le génome, Cas9 coupe la molécule d’ADN. On peut alors manipuler le génome à sa guise en enlevant ou en modifiant un gène (mutation ou correction d’une mutation). Cas9 peut aussi intervenir si elle est couplée à la bonne enzyme dans le domaine de l’épigénie [6]. Elle pourra provoquer l’expression d’un gène ou l’éteindre. Cette technologie peut être qualifiée de révolutionnaire car elle fonctionne sur tous les organismes vivants, levures, plantes, mammifères, amphibiens et ne coute qu’une dizaine d’Euros et ne nécessite que 2 semaines de préparation. Avant cette technologie, pour modifier les gènes d’un organisme, il fallait 18 mois et cela coutait en 1 000 et 50 000 Euros et le taux d’échec était très élevé. Avec CRISPR-Cas9, tout est beaucoup plus simple car aucun acide nucléique [7] n’est introduit, seule l’enzyme (la protéine) est insérée et elle disparaitra par la suite ne laissant aucune trace de la modification.

IL Y A-IL UNE DIFFÉRENCE ENTRE CRISPR-Cas9 ET LES OGMs (ORGANISMES GÉNTIQUEMENT MODIFIÉS) ?

L’ Union Européenne ne s’est pas encore prononcée sur ce sujet et on attend son rapport en 2016. La plupart des Etats membres pensent que cette technologie s’appare aux OGMs. Pourtant au plan scientifique, les deux technologies diffèrent sur un point fondamental. Les technologies OGMs occasionnent des modifications grossières du génome avec du matériel génétique qui provient quasi systématiquement d ‘espèces différentes alors que la technique CRISPR-Cas9 utilise la plupart du temps du matériel génétique de la même espèce même si cette technique laisse la porte ouverte à l’utilisation d’enzymes d’autres espèces. On a utilisé un ‘canon à gènes’ pour créer le maïs transgénique Monsanto MON 810 pour introduire le transgène dans l’organisme de la plante. Une fois la plante bombardée, on teste alors les résultats en la cultivant pour voir si le transgène a causé les modifications voulues. On recommence le processus jusqu’à ce que les résultats désirés soient obtenus. La technologie CRISPR-Cas9 permet de modifier d’une manière très précise les gènes que l’on veut et avec une spécificité [8] qui atteint aujourd’hui 99% et qui en progrès constant. Avec CRISPR-Cas9, les effets hors cible (non intentionnels) [9] sont beaucoup pus limités car, auparavant, l’ ADN était coupé deux fois ce n’est plus le cas avec la nouvelle mutation du CAS9 et l’utilisation deux ARNs.
Si la technologie OGM a largement échoué en Europe, c’est à cause de ce sacro-saint principe d’équivalent en substance qui considérait qu’une plante transgénique était équivalente à la plante d’origine. Soit l’union Européenne classe Crispr-Cas9 comme un OGM et elle échappe à tout contrôle scientifique et législatif mais l’acceptabilité risque de poser les mêmes problèmes que pour le maïs Monsanto MON 810 et les autres OGMs. Soit l’Union Européenne la classe comme une substance chimique et la législation est beaucoup plus contraignante car la substance rentre alors dans le champ du contrôle ‘REACh’ [10] de l’Union Européenne. Jamais les OGMs n’auraient dû obtenir le principe d’équivalent en substance sans une évaluation scientifique et un contrôle citoyen rigoureux au travers d’une représentation politique responsable pour empêcher les multinationales de tenter de s’accaparer du vivant et de le breveter avec leurs découvertes. C’est à Crispr-Cas9 qu’il aurait fallu réserver le principe d’équivalent en substance quand les manipulations génétiques ne se font pas avec un transgène extérieur à l’espèce comme pour les OGMs mais avec du matériel génétique de l’espèce elle-même. Le brevetage du vivant avec CRISPR-Cas9 ne semble donc pas possible quand le matériel de l’espèce génétique à modifier provient de la même espèce. Par contre, si on prend un gène qui code pour une enzyme et que l’on veut modifier sa fonction pour produire autre chose que ce qu’elle est censée produire, alors le brevetage peut se justifier. De plus, dès lors que la découverte de CRISPR-Cas9 est le fruit d’une recherche fondamentale et non de la recherche appliquée contrairement au MON 810, les risques de brevetage par des sociétés de biotechnologie devaient limiter les tentatives de s’accaparer le vivant.



QUELS SONT LES CHAMPS D’APPLICATION DE CETTE TECHNOLOGIE ?

Ils sont vastes et les applications les plus importantes se feront sans aucun doute en médecine si on arrive à augmenter la spécificité de la technique à 100%, ce qui est aujourd’hui tout à fait envisageable. Pour l’agriculture, l’utilisation de CRISPR-Cas9 est d‘ores et déjà en cours car une probabilité de 99% de réussite est amplement suffisante dans cette discipline. Le 1% de déchets peuvent être facilement identifiés et éliminés. L ‘INRA effectue des recherches depuis 35 sur une variété sauvage de Vitis vinifera, la muscadine. Jusqu’ici et après une vingtaine années de croisements, la résistance a été incorporée à un cépage. Avec la technique CRISPR-Cas9, on peut s’attendre un développement beaucoup plus rapide de variétés résistantes au mildiou et à l’oïdium et même aux maladies du bois (eutypiose, esca et le black dead arm) pour tous les cépages sans en modifier leurs caractéristiques organoleptiques. Il sera sans doute aussi possible de créer des plantes résistantes au phylloxera sans avoir recours au greffage sur souches américaines. Les techniques d’hybridation et le développement de techniques évanescentes comme la Sélection Assistée par Marqueurs[11] dont j’ai parlées dans ce blog pourraient devenir rapidement obsolètes.

Cela devrait permettre une réduction massive des intrants chimiques ainsi qu’une réduction ou un abandon de traitement préventif au sulfate de cuivre dans l’agriculture biologique car cette substance est connue pour sa toxicité sur les amphibiens.
Ce sera sans doute une arme décisive contre le réchauffement climatique car on devrait pouvoir développer des ceps plus résistants à la sècheresse et à la chaleur.

Mais attention, à ne pas répéter les mêmes erreurs que celles commises lors de l’introduction des OGMs en Europe et du mais MON 810 car on pourrait bien voir une nouvelle levée de boucliers comme ce fut le cas il y a quelques années.

[1] ‘Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats’ ou Courtes Séquences Palindromiques répétées, groupées et régulièrement espacées.

[2] Aussi appelé phage.
[3] ARN, Acide ribonucléique: Molécule qui transporte l’information contenue dans le patrimoine génétique (ADN) jusqu’aux ribosomes qui sont chargés de la « traduire » en protéines ayant des fonctions précises.

[4] Ces enzymes ont des protéines qui ont deux parties importantes, la nucléase (ciseaux) et une autre partie qui lit d’ADN.
[5] On attend 3000 publications sur ce sujet en 2016.
[6] Les différentes manières dont les gènes peuvent se manifester sans que la séquence de nucléotides de l’ ADN soit affectée
[7] Terme désignant une substance constituée d’un enchaînement linéaire de nucléotides, l’élément de base d’un acide nucléique tel que l’ADN ou l’ARN.
[8] 99% de chance que la coupe se fasse là où on le désire.
[9] Non voulus.

[10] Système de contrôle de l’Union Européenne des substances chimiques qui porte sur génotoxicité, toxicité par administration répétée, toxicité pour le développement prénatal, toxicité pour la reproduction, cancérogénicité, toxicité aquatique à long terme, biodégradation et bioaccumulation.
[11] Elle consiste à repérer des gènes marqueurs dont la présence dans une plante peut être rapidement observée. Ces gènes permettent ensuite de faciliter la pratique des rétrocroisements, de mieux connaître le potentiel génétique de la plante ou encore de mieux prédire le résultat d’un croisement. Source Wikipédia.

Could Gene Editing Create More Disease-Resistant Grape Varieties?: https://daily.sevenfifty.com/could-gene-editing-create-more-disease-resistant-grape-varieties/ . ATTENTION. Si vous cliquez sur lien, vous sortez du site.