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POUR LA DÉFENSE DE LA DIVERSITÉ VARIÉTALE ET DU PINOTAGE (Un cépage méconnu même des Sud-Africains)

Jamais, sans doute, un cépage n’a eu autant de contempteurs et  d’aficionados que le pinotage. Encore aujourd’hui, et bientôt  une centaine d’années après sa création par l’éminent professeur Perold, un universitaire de Stellenbosch,  le débat sur la pertinence du cépage en Afrique du Sud fait encore rage.  Quand Perold croisa des plants de pinot noir avec des plants de cinsault (Hermitage en Afrique du Sud) en 1925  et en planta quelques pieds dans   le jardin de sa propre résidence de fonction à Welgevallen, il ne se doutait pas du chemin de croix qu’allait parcourir son cépage pour arriver une centaine d’années plus tard à un début  de reconnaissance. Il semblerait que le professeur, un peu distrait comme tous les professeurs, oublia ses plants quand, deux ans plus tard, il  accepta un poste à la coopérative KWV qui regroupait la majeure partie des domaines viticoles sud-africains. Le logement resta inoccupé et le jardin en friche.  La petite histoire raconte que les   plants furent  sauvés in extremis par le Dr Charlie Niehaus qui passant à bicyclette devant de jardin de Welgevallen s’interposa pour éviter  l’arrachage. Ils furent alors transférés dans la pépinière  du  prof C J. Theron, un collège du professeur Perold où, pendant 7 ans, jusqu’en 1935, ils n’attirèrent aucune attention des académiques jusqu’à  ce que Theron les présente au bon vieux  Professeur Perold,  coutumier régulier d’un retour aux sources sur ses terres universitaires qui s’enthousiasma et intima que l’on en plante  avec la meilleure sélection. Jolie petite histoire aurait pu chanter  Jean Louis Aubert en hommage  au pinotage. Mais pour paraphraser les Rita Mitsouko, les histoires d’amour finissent mal en général car  ce pauvre cépage allait connaître une déconfiture retentissante  quand en 1976, une délégation du prestigieux ‘Institute of Master Of Wine’ le déclara tout simplement indigne de l’Afrique du Sud. ‘Banane, vernis à ongle, tôle rouillée, acétone, ‘alcooleux’, dégueulasse’, vitupérèrent    les MWs d’un seul concert. Certes, le vin n’avait pas bon goût mais la décision de l’Institut des Masters of Wine d’envoyer une délégation en plein apartheid en Afrique du sud qui avait depuis longtemps avait été mise au ban de la communauté internationale n’était pas non plus du meilleur goût

Le Professeur Perold

Décryptage : On ne peut pas comprendre cette situation sans quelques rappels de l’histoire viticole et de l’histoire tout court de l’Afrique du Sud. En 1918, la coopérative KWV voit le jour et elle regroupera à son apogée plus de 95% des domaines sud-africains.  À cette époque, le productivisme est la norme dans presque tous les pays viticoles mais la KWV permettait  des rendements qui pouvaient  aller jusqu’à 350 hectolitres par hectare. Une paille ! De 1948 à 1991, l’Afrique du Sud tomba sous le joug de l’apartheid et à partir de 1960, elle fut exclue d’à peu près toutes les organisations internationales et elle vécut  en quasi-autarcie sans accès au savoir-faire, en particulier européen, dans le domaine de la viticulture et de la vinification. En fait, la qualité des vins sud-africains  était  très mauvaise mais il est vrai que celle du Pinotage l’était encore plus compte tenu du manque d’expérience des producteurs avec ce cépage. 

On connaît aujourd’hui les composés chimiques responsables de ces déviations que les MWs identifièrent : les acétates,  en particulier l’acétate d’isoamyle pour le goût de banane et l’acétate d’éthyle pour le vernis à ongle. Ces esters sont les sous-produits non voulus de la fermentation et se forment  par la contamination des moûts  par les bactéries acétiques. En fait, ces composés n’ont rien à voir avec le cépage sauf, peut-être, que celui-ci a sans  doute tendance à en synthétiser en plus grande quantité quand les moûts sont contaminés  par les bactéries acétiques.

Le sort du pinotage semblait donc scellé et tous ceux qui s’étaient employés à en  planter  s’empressèrent de l’arracher, à part, comme toujours, quelques visionnaires. Pourtant, les premiers résultats  avec le cépage étaient plutôt encourageants. Il était précoce avec des belles concentrations en sucre et la vigne semblait à son aise sur le terroir de Stellenbosch et les premières accolades  arrivèrent rapidement en 1959 et 1961 quand   les   Pinotages de Bellevue et de Kanonokop gagnèrent le trophée du meilleur vin sud-africain au prestigieux concours  du ‘Cape Wine Show’. C’était l’arbre qui cachait la forêt car la majorité des Pinotages comme l’ensemble  des vins sud-africains était  de piètre qualité. On doit à un domaine, Kanonkop et à un viticulteur, Beyers Truter, d’avoir sauvé ce cépage des poubelles de l’histoire où l ‘avaient condamné les Masters of Wine.   En 1991, Beyers Truter de Kanonkop  fut élu ‘Viticulteur de l’Année par ‘International Wine and Spirit Association’, le premier Sud africain à réussir cet exploit mais cette nomination avait sans doute plus à voir avec le cabernet sauvignon et l’assemblage Bordelais, Paul Sauer de Kanonkop qui font partie des tout meilleurs vins d’Afrique du Sud.

Beyers Truter: http://www.kanonkop.co.za/

Une délégation de Masters of Wine revint en Afrique du Sud et sonna un tout autre son de cloche : ‘grand potentiel, un cépage à prendre au sérieux’ s’extasièrent les MWs admiratifs. James Sutcliffe aussi s’enthousiasma  pour le cépage en s’exclamant dans la revue ‘The Wine Spectator’ : ‘que se passe-t-il ici, ces vins sont spectaculaires, vraiment spectaculaires. En 10 ans, le cépage passa de 2% de l’encépagement total à 7%, niveau auquel il stagne depuis 2000.

Au  moment  où le pinotage renaissait comme un phénix de ses cendres, une grande partie des  viticulteurs  décidèrent  de l’assembler avec des cépages bordelais pour faire des ‘Cape Blends’ (minimum 30% de pinotage dans le Blend). On pourrait comprendre que le pinotage devienne une composante dans les assemblages mais  dans les années 1990 cela s’apparentait plus à une démarche commerciale des producteurs qui leur permettait  d’évacuer sans trop de dommages des Pinotages de qualité médiocres qu’ils auraient eu du mal à vendre en monocépage tout en donnant aux consommateurs l’impression qu’ils avaient dans leur verre un peu de l’authenticité vitivinicole sud-africaine. Aujourd’hui les ‘Cape Blends’ forment toujours la majorité du Pinotage vendu mais  les producteurs historiques de Pinotage ne s’y trompent pas et vendent leurs vins de monocépages bien plus chers que leur ‘Cape Blends’. La grande majorité des Pinotages produits en Afrique du Sud finissent en assemblage avec des cépages bordelais et l’on ne compte que deux acteurs majeurs, Kanonkop à Stellenbosch, le domaine historique et Rijks Celars in Tulbagh qui depuis dix ans se partagent la première place au concours des Pinotages organisé par ‘L’Association des Pinotage’ et sponsorisé par une grande banque sud-africaine. Le terme association est révélateur en lui-même  du piètre statut accordé au cépage en Afrique du Sud et il s’apparente plus à une association de défense qu’à un groupe de promotion même  si l’Association est très active et elle défend le cépage avec passion. Mais quand des acteurs historiques du pinotage comme Warwick se désengagent de ce cépage et préfèrent vendre des raisins de vieilles vignes  au domaine de Kanonkop, cela en dit long sur leur place que leur accordent la plupart des domaines.

Pourtant  tous les pays du Nouveau Monde rêvent  d’avoir un vin fait à partir d’un cépage autochtone authentiquement national mais l’Afrique du Sud semble être le seul à ignorer l’importance que revêt la nécessité de se distinguer des autres pays par un cépage, un style de vin unique surtout quand on travaille essentiellement les cépages internationaux. L’Argentine  a le malbec, la Nouvelle-Zélande le sauvignon blanc, l’Australie le shiraz et le Chili plante de la carménère à tour de bras depuis  qu’en 1991 (la même date où on consacrait Beyers Truter), l’on a découvert ce cépage  que l’on avait considéré à tort  comme du merlot, produit des vins de qualité remarquable. Pourtant, ce n’est pas un cépage facile car juger de la maturité optimum de la   carménère est difficile ; pas assez mûr, le vin est vert et trop mûr, C’est de la confiture. Et entre les deux il existe une fenêtre très étroite pour récolter les raisins à maturité optimale.

Alors qu’a donc ce pauvre cépage pour ne mériter que si peu de considération  quand ce n’est pas tout simplement  l’opprobre des vignerons Sud-Africains?  Peter Allan Finlayson du domaine de Crystallum à Hemel en Aarde qui produit des vins d’une grande finesse le résume parfaitement : ‘Le cépage produit un  vin qui  est plus important que la somme de ses composantes, le pinot noir et le cinsault et les  vins  peuvent très vite devenir indigestes, lourds voire ‘confiturés’. 

Pourtant, les deux grands acteurs du pinotage se trouvent sur deux terroirs différents et cela  en dit long sur  la versatilité du cépage. A Stellenbosch il est planté sur des sols de granites détritiques et alluvionnaires. A Tulbagh, plus chaud il réussit très bien sur de l’ardoise et des sols d’origine alluvionnaire.  

Une étude de 2005 sur les Pinotages arrivés aux 10 premières positions du concours Absa de l’Association du Pinotage révéla que tous provenaient de vignes âgées entre 30 et 40 ans, taillées en gobelet sans irrigation sur des sols de coteaux avec une  bonne rétention d’eau et plantées sur des versants sud-est ou sur des versants à orientation nord avec un bon ensoleillement.

D’une manière générale, le cépage est particulièrement tannique et les extractions doivent être  maitrisées et sans excès. Il a besoin d’élevages longs avant sa mise sur le marché. Le bois neuf a tendance à le rendre un peu crémeux sauf sur des vins de vieilles vignes aux petits rendements. On n’a peut-être pas encore vu le meilleur du pinotage. Pour l’heure, aucun viticulteur n’expérimente avec de la vendange entière pour ‘lifter’ le vin. Aucune expérience d’assemblage avec un cépage blanc, comme cela  se fait en Côte Rôtie et qui pourrait l’alléger dans sa structure.

L’Afrique du Sud aurait bien besoin qu’un de ses nouveaux  ténors de la viticulture s’en empare pour mettre ce cépage en exergue et lui donner la reconnaissance qu’il mérite au niveau international. Aux dernières nouvelles, il paraîtrait qu’Eben Sadie aurait l’intention de s’y atteler. Nous terminerons sur cette note encourageante.

Kanonkop Black Label Pinotage