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VIN, ALCOOL ET SANTÉ…QUAND LA RECHERCHE ÉPIDÉMIOLOGIQUE [1] BOIT LA TASSE

Claude Gilois, FIMBS, MBA, DipWSET

OU POURQUOI LA MAJORITÉ DES ÉTUDES SUR CE SUJET SONT SANS RÉELLE VALEUR

Les études épidémiologiques : une cacophonie inaudible pour le commun des mortels[i] :

Depuis une vingtaine d’années, nous sommes assaillis par des études scientifiques (largement relayées par la presse généraliste) sur les bienfaits et les méfaits sur la santé d’un nombre toujours plus grand de substances. Ces études disent tout et son contraire parfois dans le même mois, voire dans la même semaine. L’alcool, qui est le sujet le plus étudié dans la recherche scientifique et médicale, figure sur le podium olympique avec une régularité métronomique. Comment a-t-on pu en arriver à cette situation absurde qui crée un climat anxiogène dans la population qui ne sait plus à quels saints se vouer et à qui faire confiance. Cette situation ubuesque a amené un éminent épidémiologiste, Dimitrios Trichopoulos, directeur du département d’épidémiologie de l’Ecole de Santé Publique de Harvard à déclarer que : ‘les épidémiologistes sont devenus une nuisance pour la population. Sur des sujets particulièrement sensibles à connotation moralisatrice comme l’alcool, les propagandistes de tous bords s’approprient les résultats de ces études et se regroupent en deux camps (pour ou contre) pour une guerre de tranchées à coup de communiqués de données   plus ou moins bien interprétées ou assimilées, car les études sont souvent indigestes à cause de leurs traitements statistiques particulièrement sophistiqués.

L’épidémiologie face à ses limites

En recherche médicale et scientifique il est habituel de procéder à des essais où les sujets sont choisis au hasard pour l’étude et pour le groupe de contrôle. La Rolls Royce   de ce type d’études, c’est quand les sujets de l’étude ainsi que les sujets du groupe de contrôle ne sont connus, ni des sujets de l’étude eux-mêmes ni des observateurs. Ce type d’étude est appelé étude randomisée en double aveugle.

Mais quand on veut étudier les effets de l’alcool sur la santé, il n’est pas possible de procéder de cette façon car l’éthique interdit de soumettre une population en bonne santé à une substance qui peut être potentiellement dangereuse. Il faut donc procéder par des études indirectes (cas témoin [2], cohortes [3], méta-analyses[4]) beaucoup moins précises que les études directes.

Les résultats des études épidémiologique sont généralement exprimés à l’aide d’un indice [5].   Un indice égal à 1 signifie l’absence de risques. Plus l’indice est élevé plus il exprime la force de la relation entre la cause et l’effet (par exemple, la relation entre la consommation d’alcool et le cancer). Et c’est bien là que le bât blesse, car la très grande majorité des études épidémiologiques rapportent des indices   qui se situent entre 1 et 2, beaucoup trop faibles pour effacer les difficultés inhérentes aux méthodologies des études épidémiologiques.

Beaucoup d’épidémiologistes concèdent que leurs études sont truffées de biais, d’incertitudes et de faiblesses méthodologiques et qu’elles sont incapables de détecter des associations faibles. Quand Richard Doll a mis en évidence le lien entre le cancer du poumon et le tabac il y avait un accroissement des risques de 3 000% donc aucun doute n’était possible.

 « Nous repoussons sans cesse les limites de l’épidémiologie quand nous n’allons pas au delà » ajoute Dimitrios Trichopoulos, déjà cité, et ces études, ajoute-t-il, « génèrent des conclusions faussement positives ou négatives avec une fréquence déroutante ».  » Les biais et les facteurs confondants [6] sont les tendons d’Achille de l’épidémiologie » déclare Philip Cole, professeur d’épidémiologie à l’université d’Alabama. « Même les techniques d’analyses statistiques qui sont depuis 30 ans à la disposition de la recherche épidémiologique pour calculer l’effet des biais et pour corriger les effets des facteurs confondants ne sont pas suffisantes pour compenser les limitations des données » déclare Norman Breslow, biostatisticien de l’université de Washington à Seattle.

Sir Richard Doll (le découvreur du lien entre le tabac et le cancer du poumon) de l’université d’Oxford qui était le co-auteur d’une étude erronée sur un lien de cause à effet entre un médicament hypertenseur et le cancer du sein, suggère qu’aucune étude épidémiologique ne peut être crédible si l’indice n’est pas supérieur à 3. Dimitrios Trichopoulos, suggére lui un risque supérieur à 4. Angell du ‘New England Journal of Medecine’ déclare « Il nous faut un indice d’au moins 3 voire plus pour que nous acceptions de publier des études en particulier si le mécanisme biologique est improbable ou si la découverte est nouvelle. Robert Temple de la Food and Drug Administration ajoute « si l’indice n’est pas au-dessus de 3 ou 4 alors oubliez les résultats ».

De l’aveu même des plus éminents épidémiologistes, la très grande majorité des études sont sans valeur car l’indice se situe pour la majorité d’entre elles entre 1 et 3. On peut donc s’interroger légitimement, pourquoi ces études sont-elles publiées. Les scientifiques n’existent que par la quantité de publications qu’ils génèrent et, depuis une quarantaine d’années nous assistons à une course folle à la publication, parfaitement résumée par l’expression bien connue ‘publish or perish’ (publier ou disparaître).   

Les conflits d’intérêt se multiplient car la quasi-totalité des études scientifiques sont financées, en partie ou en totalité par l’industrie pharmaceutique. En 2006, le très respecté journal britannique ‘The Guardian’ révélait que Sir Richard Doll cité ci-dessus, avait été payé pendant des années 1 500 US dollars (1 200 Euros) par mois par la firme Monsanto (aujourd’hui Bayer) bien connue à cette époque pour son implication dans la chimie polluante et aujourd’hui pour ses OGMs. Cela l’a sans doute amené à minimiser les risques environnementaux des cancers qu’il évaluait à 1%.

Mais, les métanalyses (les reprises d’un ensemble d’études comparables) ne sont-t-elles pas un moyen de contourner les difficultés inhérentes et les limitations des études individuelles ? Pas vraiment. Il existe une sous – représentation des études négatives dans la littérature scientifique et médicale, les scientifiques étant peu enclins à soumettre des résultats négatifs et les publications scientifiques peu enthousiastes pour les publier. De plus, ‘si les études ont la même architecture méthodologique et que ces études ont un biais, peu importe si elles sont reproductibles’ déclare David Sackett de l’Université d’Oxford et il ajoute ‘ un biais est toujours un biais même s’il est multiplié par 20 ou 30’.

Petits conseils d’autodéfense intellectuelle pour se prémunir afin de n’être pas floué par des études épidémiologiques.


[1] L’épidémiologie est l’étude des facteurs influant sur la santé et les maladies des populations

[2] Études rétrospectives entre deux groupes, l’un présentant une maladie (cas) et l’autre, sain (témoins).

[3] Comparaison entre un groupe de sujets non malades mais exposé à un risque et un groupe non exposé. Ces études sont en général plus précises que les études de cas témoins mais aussi plus coûteuses.

[4] Reprise d’un ensemble d’études comparables et avec une analyse globale au moyen d’outils statistiques adaptés et de modèles mathématiques complexes.

[5] le RR (Risque Relatif) ou in indice équivalent OR (Odds Ratio).

[6] Les facteurs confondants sont des variables cachés dans les populations étudiées qui peuvent générer une association réelle mais qui n’est pas celle que les épidémiologistes pensent avoir trouvée.


[i] Contributeur principal: Taubes G.  Epidemiology Faces Its Limits. , 1995. Science. 269(5221):164-169.