CHANGEMENTS CLIMATIQUES

CHANGEMENT CLIMATIQUE : SOLUTIONS D’ADAPTATION

LE DÉPLACEMENT DE LA VITICULTURE VERS LE NORD OU SUD SUIVANT LES HÉMISPHERES

​ Cette solution semble en théorie la plus simple, mais en pratique c’est beaucoup plus compliqué qu’il n’y paraît et pour plusieurs raisons. En Europe, plus peuplée que le Nouveau Monde, la vigne a majoritairement été plantée sur des terroirs pauvres (pour faire simple, la vigne ne réussit pas bien sur des sols trop fertiles car la vigueur de la plante est trop importante et le feuillage se développe au détriment de la grappe) alors que les autres cultures maraîchères et arboricoles se font sur des terroirs plus hétérogènes et plus fertiles. Dans les pays de population dense, il serait très difficile de trouver des terroirs adaptés à la culture de la vigne sans rompre un équilibré écologique qui sera déjà particulièrement fragilisé par le réchauffement climatique. Certes, les Champenois achètent des terres en Angleterre mais le Champagne, dans l’ensemble, est un vin de construction technologique qui jusqu’à une époque récente donnait la primauté à l’assemblage au chai sur le terroir. Les grands Champagnes de terroirs devront aussi s’adapter. Sincèrement, on voit mal la syrah venir s’installer en Bourgogne ou dans le Bordelais et le tempranillo dans la vallée du Rhône. Cette solution semble plus adaptée au nouveau monde qui possède des superficies plus grandes et de vastes terroirs encore inexploités dans le nord du Canada, dans la Williamette Valley ou dans d’autres états des États- Unis , en particulier l’État de Washington.


LE DÉPLACEMENT DE LA CULTURE DE LA VIGNE EN ALTITUDE
Elle semble plus réaliste car les coteaux sont des flancs de montagnes donc des terroirs pauvres bien adaptés à la culture de la vigne. D’autre part, les coteaux ont parfois été sous utilisés car il est plus facile de planter à flanc de coteaux peu pentus et dans les vallées. C’est une solution qu’il faut d’ores et déjà envisager dans des régions où la configuration du sol le permet. Cela n’est pas sans poser de problèmes dans une région comme la Bourgogne ou la classification se décompose essentiellement en 3 zones, les Côtes qui font les meilleurs vins, la plaine qui attire les cépages moins qualitatifs et les Hautes Côtes qui font des vins souples mais parfois aussi très complexes. Pourrait-on voir les vins des Hautes Côtes supplanter en qualité les vins des Côtes. On imagine la complexité règlementaire et les conflits qu’une telle situation pourrait engendrer. Mais attention, plus on est en altitude moins le soleil est filtré et plus son intensité lumineuse est forte et il faudra voir si l’amplitude des variations de température entre le jour et la nuit est suffisante pour apporter les avantages voulus.

LA DISPONIBILITÉ EN EAU ET L’IRRIGATION
Un réchauffement climatique s’accompagnera dans la plupart des régions par une diminution de la disponibilité en eau. Cela a été particulièrement bien illustré pendant la terrible sècheresse qui a frappé l’Australie pendant une décade (2000-2010) ou la distribution de l’eau du bassin de Murray Darling a dû être limitée ou encore ces quatre dernières années en Californie où la demande des agriculteurs et de la population ont créé un bon nombre de conflits et de restrictions. L’Australie se désengage de la viticulture industrielle particulièrement gourmande en eau car il n’y a plus de garantie que celle-ci soit disponible pour une culture qui peut apparaitre aux yeux de beaucoup comme secondaire. 83% des vignes sont irriguées dans le Nouveau Monde contre moins de 10% en Europe. Avec 10% d’irrigation sur 23 000 hectares le Languedoc est la région la plus irriguée de France. L’irrigation dans la vieille Europe est strictement règlementée car c’est un moyen d’accroitre les rendements artificiellement et en général elle est interdite. Mais les autorités commencent à lâcher du lest et elle a été autorisée en Toscane. En France, elle est interdite de la floraison à la véraison sauf par dérogation de l’INAO. S‘il est aujourd’hui entendu que la contrainte hydrique a des effets bénéfiques sur la culture de la vigne et la qualité du raisin, le stress hydrique, lui, est néfaste aussi bien au niveau de la qualité que des rendements. L’irrigation par goutte à goutte est maintenant le mode le plus adapté pour l’irrigation de la vigne et les méthodes pour la contrôler particulièrement sophistiquées et perfectionnés. Une partie de la racine peut-être irriguée pendant deux semaines et ensuite on inverse la partie irriguée (partial zone root drying). La dépense en eau est ainsi divisée par deux. L’irrigation renvoie automatiquement au problème de disponibilité. On pourrait s’interroger légitimement pourquoi tant de discussion et de conflit autour de l’eau puisque l’on sait aujourd’hui dessaler l’eau de mer. Mais c’est un processus très énergivore qui a un coût carbone important et dans la période de décarbonation dans laquelle nous entrons, le sujet est très sensible. Cependant, le réchauffement climatique et l’accroissement de la population vont réduire la disponibilité en eau. Les nappes phréatiques sont en baisse dans la plupart des régions déjà soumises au changement et les eaux qui proviennent de la fonte des glaciers d’altitude (Cordillère des Andes) sont aussi en réduction car les glaciers sont particulièrement sensibles au réchauffement climatique.



RÉCOLTER PLUS TÔT
C’est un sujet qui depuis une quarantaine d’années agite le monde viticole et le divise souvent en deux camps opposés. D’un côté, le clan Parker avec son alter ego Michel Roland qui ont su imposer, non sans talent, la nécessité de pousser la maturité du raisin le plus loin possible et dans l’autre camp un bon nombre de contempteurs franco-anglais, de haut niveau, qui voient dans cette course à la recherche de la maturité, l’élaboration de vin manquant de finesse, de raffinement et d’élégance. Il n’y a pas de méthode infaillible pour évaluer la maturité physiologique et phénolique du raisin. Les composés phénoliques, responsables de la couleur, de l’astringence et de l’amertume des vins rouges, ne sont pas mesurables de façon précise et le lien entre des qualités sensorielles et une composition spécifique du vin est difficile à établir. L’alcool a un rôle essentiel dans la perception sensorielle du vin. Il tempère la sensation d’acidité, rehausse la note sucrée et contribue au moelleux en bouche. Avec des degrés d’alcool plus bas, le vin est perçu plus acide et plus astringent. L’Europe a tendance à privilégier la buvabilité des vins alors que Robert Parker semble plutôt séduit par le moelleux et la sucrosité, plus proche du Nouveau Monde dont il est issu.
ll semblerait donc que la décision de la maturité optimale soit plus une affaire de goût qu’une affaire de science. La maturité doit donc aujourd’hui se concevoir plutôt en termes relatifs qu’en termes absolus avec des écarts qui peuvent aller jusqu’à 1.5 ° ou 2 ° dans un sans ou dans un autre suivant les goûts du viticulteur ou du consommateur, sans pour cela considérer que le raisin qui entre la composition du vin est en sous ou en sur maturité.
Le réchauffement climatique accroît, de toute façon, le risque d’un décalage entre la maturité physiologique et phénolique et la maturité en sucre mais cela devrait pouvoir se gérer avec la gestion de la canopée. En tout état de cause, un vin moins chargé en alcool apparaîtra toujours plus fringant car il aura une meilleure acidité et plus d’astringence.

LA GESTION DE LA CANOPÉE ET DE LA TAILLE

Ce sera sans doute la technique majeure qui permettra l’adaptation de la culture de la vigne de la plupart des vignobles du monde face au réchauffement climatique. Dans ce domaine, le Nouveau Monde est très en avance sur l’Europe et possède des spécialistes de très haut niveau, comme Richard Smart, qui travaille dans ce secteur depuis de nombreuses années. La taille en Europe a, dans l’ensemble, pour but d’exposer les raisins aux rayons du soleil. Dans le nouveau monde, la gestion de la canopée a plutôt tendance à les protéger d’une exposition trop forte au soleil ralentissant ainsi la vitesse de maturation du raisin et limitant ainsi le degré alcoolique du vin. J’ai pu constater lors d’une récente visite en Australie, un abaissement du taux d’alcool de 2° sur les grandes cuvées dans certains domaines et ceci au cours d’une sècheresse et d’une vague de chaleur sans précédent que nous nous avons déjà évoquées dans cet article. Des domaines qui s’étaient constitués leur réputation et leur succès sur les points Parker se détournent maintenant du système et reviennent vers des taux d’alcool plus maîtrisés avec des vins d’une plus grande buvabilité et moins fardés par le bois. Le processus de réchauffement climatique va accélérer cette tendance et déjà aujourd’hui on élabore des vins de grande classe à des taux d’alcool de 12.5°-13.5 °. Je ne sais pas si Bordeaux, encore sous l’influence Parker-Roland, s’est engagé dans ce sens mais Bordeaux a bénéficié du réchauffement climatique que l’on connaît actuellement. Avec des températures en augmentation de 3°ou 3,5 ° alors il faudra bien s’y intéresser de plus près.
Dans les pays chauds du Nouveau Monde, cette tendance à une gestion de la canopée protectrice va se renforcer mais en Europe et en France où la taille est règlementée et où le changement climatique va se faire graduellement avec des épisodes extrêmes, caniculaires ou pluvieuves plus fréquentes et imprévisibles, ce sera plus difficile. Comment ajuster la taille et la canopée quand on n’aucune visibilité sur les conditions climatiques qui vont prévaloir entre la floraison et la véraison. Un sacré casse-tête car la viticulture dans une grande partie de l’Europe est une viticulture de climat frais (cool climate viticulture) qui va se transformer graduellement en un viticulture de climat chaud.
Dans les régions chaudes, la taille en gobelet a prouvé sur le temps sa supériorité pour gérer au mieux les températures élevées et on la trouve à Châteauneuf du Pape, dans le midi de la France, en Espagne en Afrique du Sud et dans beaucoup de pays chauds. N’oublions-pas le savoir-faire et la sagesse de nos anciens.


L’HUMIDIFICATION ET L’ARRROSAGE DES VIGNOBLES
Il est tout à fait possible de faire de la viticulture dans des climats très chauds et la Hunter Valley en Australie en est l’exemple le plus extrême. Les températures dans cette région peuvent atteindre 45 ° mais la région est particulièrement pluvieuse car la vallée est orientée ouest-est et n’a donc aucune protection de flancs de vallée sur les assauts de l’océan Pacifique qui apportent des pluies abondantes qui permettent à la photosynthèse de continuer à s’effectuer et il n’y a pas d’arrêt de maturation du raisin pendant la période critique. Le sémillon de la Hunter Valley titre aux alentours de 11 ° alors que les syrahs ont un degré d’alcool de 13.5%. Il est bien sur difficile de reproduire artificiellement une telle situation mais des expériences sont en cours au Chili avec l’utilisation de brumisateurs géants pour rafraîchir les vignes pour que la photosynthèse continue à s ‘effectuer. L’efficacité d’un telle technique dans un contexte d’épisodes caniculaires reste encore à démontrer en particulier la réduction effective de température sur la vigne. La disponibilité en eau est aussi l’autre facteur limitatif.


UTILISATION MASSALE OU CLONALE DANS UN CONTEXTE DE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE?

Encore un sujet qui crée bien des divisions. La sélection clonale longtemps préférée commence conceptuellement à perdre du terrain sur la sélection massale. Avec la sélection massale, seuls les ceps les plus résistants et les mieux adaptés sont sélectionnés et propagés. Il ne faut pas cependant oublier que la vigne ne subit plus d’ hybridation depuis les lustres et que le phylloxera a considérablement appauvri le patrimoine génétique de la vigne. Les variations se font depuis de siècles par mutation somatique avec une modification d’un seul composant génétique. C’est suffisant pour transformer un cépage blanc en un cépage rouge ou produire un cépage diffèrent mais le manque de croisement génétique et d’hybridation, rend la plante beaucoup moins résistante. La sélection clonale, même si elle introduit un contrôle plus strict de la qualité du cep qui a moins de risques d’être porteur de maladies en particulier virales car le processus de mise sur le marché d’une sélection clonale peut prendre de 10-15 ans. Mais, seuls les clones qui possèdent toutes les caractéristiques voulues sont conservés, ce qui a pour conséquence de réduire encore plus le potentiel génétique des plantes. Aujourd’hui, les vignerons désireux de conserver le patrimoine génétique de leur domaine, sans pour autant prendre de risque sanitaire, demandent à certains pépiniéristes de compléter la sélection massale par des tests sanitaires. La sélection massale semble donc avoir des avantages non négligeables sur la sélection clonale, non seulement en termes génétiques mais aussi en termes d’adéquation aux conditions du vignoble. En période de réchauffement climatique cela pourrait s’avérer un facteur de résistance et d’adaptation bien utile.


DÉVELOPPEMENT ET UTILISATION DE PORTE-GREFFES PLUS ADAPTÉS
Les porte-greffes utilisés aujourd’hui sont les ancêtres américains de trois variétés, Vitis riparia, Vitis berlandieri et Vitis rupestris. Cette dernière variété provient du sud et de l’ouest des États-Unis et peut, grâce à ses racines étendues, atteindre même les strates les plus profondes du sol et utiliser ainsi des réserves d’eau situées en profondeur. Il est donc, avec ses dérivatifs, mieux adapté à la sècheresse. Certaines sélections sont aussi plus résistantes à la chaleur que d’autres. Cependant, la capacité d’adaptation des porte-greffes au stress hydrique est toujours limitée par l’épaisseur et la structure du sol.

QUELLE VITICULTURE DANS UN CONTEXTE DE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE?
Il y a suffisamment de preuves aujourd’hui qui indiquent que la chimie sur les terroirs viticoles appauvrit le terroir et qu’une culture en bio ou en biodynamie accroît la capacité des plantes à se défendre naturellement d’une manière plus efficace. La biodiversité est plus importante et l’impact carbone plus faible. Il ne faut pas oublier que le vignoble français occupe seulement 3,3% du territoire mais utilise 14,3% des pesticides de l’agriculture. L’enherbement devra devenir systématique pour éviter le réchauffement des sols par évapotranspiration. Le mulching ou le paillage humide sont aussi utilisés pour maintenir un maximum de fraicheur. Vendanger la nuit en période fraiche et stocker les raisins en chambres froides avant la fermentation sont déjà devenu des pratiques courantes dans beaucoup de vignobles. ​


L’UTILISATION DES FILETS ET DES VOILES DE MOUSSELINE
Utilisés à l’origine pour empêcher les oiseaux voraces de s’approprier une bonne part de la vendange sinon la totalité, ils ont aussi l’avantage de réduire l’intensité lumineuse sur la vigne et de réduire l’exposition des grappes au contact direct des rayons du soleil. Cette technique est particulièrement utilisée en Australie occidentale. Elle a un coût non négligeable.