Cryptoblabes tisse sa toile dans les vignes du pourtour méditerranéen

Ce ravageur, désormais bien installé dans les vignobles du pourtour méditerranéen, peut provoquer d’importants dégâts au moment de la maturation. Mais sa gestion reste délicate.

Par Christelle Stef Le 28 février 2024. Vitisphere

Cryptoblabes tisse sa toile dans les vignes du pourtour méditerranéen

Larve de cryptoblabes (pyrale du Daphné). Le ravageur surinfecte des grappes déjà abîmées. Il ne cesse d’étendre son territoire et progresse vers les terres et vers l’Ouest – crédit photo : Cyril Cassarini, CA du Gard

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’an passé, les populations de Cryptoblabes ont de nouveau été importantes. Surtout, l’insecte est apparu très tôt dans le vignoble « Il a fait des dégâts dès le mois de juin », rapporte Jean Litoux, ingénieur solutions Agroécologie dans le Var et en Occitanie chez Syngenta. Ce que confirme Benoît Planche, consultant ICV dans l’Hérault. « Dans notre département, la pression de Cryptoblabes a été forte dès la mi-juillet. Nous avons donc alerté les vignerons. Au final, il y a eu peu de dégâts directs ou indirects. Les vignerons ont traité et la chaleur a freiné le développement de l’insecte en fin de saison. »

Cryptoblabes tisse des toiles au sein des grappes et attaque les baies contenant du sucre, ce qui favorise le développement du botrytis et d’Aspergillus carbonarius (champignon responsable de l’OTA). Sa biologie est encore mal connue mais il est favorisé par les dégâts d’eudémis en G2-G3 et par la présence de miellat produit par les cochenilles ou les pucerons. « Selon la littératureles larves aux premiers stades ne sont pas en mesure de perforer la pellicule des baies. Le miellat constitue donc leur source d’alimentation. C’est ce qui favorise leur survie », détaille Benoît Planche. « Cryptoblabes surinfecte des grappes déjà abîmées. Le fait d’avoir des grappes saines au départ avec 0 cochenilles, 0 eudémis et 0 oïdium va retarder les dégâts », indique Jean Litoux.Les grappes non récoltées lui servent de refuge

Cryptoblabes passe l’hiver sous forme de larves ou de chrysalides nichées dans les grappes non vendangées ou tombée au sol. « En 2023, les grappes échaudées ont séché sur les pieds et sont restées accrochées après le passage de la machine à vendanger. Ce sont des endroits propices au développement des cryptoblabes et qui leur servent de refuge. Il faut éliminer ces momies à la taille, les faire tomber au sol et les écraser avec la chaussure pour bien détruire les larves », conseille Benoît Planche. Cyril Cassarini, conseiller viticole à la chambre d’agriculture du Gard, est moins catégorique car l’opération est fastidieuse. « Ramasser les momies peut limiter les attaques mais ce n’est pas ça qui va régler le problème. » Comme prophylaxie le conseiller gardois recommande plutôt de limiter la vigueur, car l’insecte a tendance à se développer davantage dans les vignes où il a beaucoup de végétation et dans lesquelles les raisins sont entassés.Surveillez les vols

À partir de début mai, les techniciens recommandent de surveiller les vols en installant des pièges et en changeant les capsules de phéromones régulièrement. « On relève les pièges une fois par semaine en mai. À cette période, on capture 30 ou 40 papillons puis le vol s’arrête. Il recommence en juin. Là il vaut mieux passer deux fois par semaine. Dès que l’on a des captures régulières, il faut se poser la question d’une intervention. Il ne faut pas attendre de piéger beaucoup de papillons, car plus on tarde, plus l’insecte va s’installer, plus il va pondre et moins les traitements seront efficaces », explique Cyril Cassarini.Raisonnez la stratégie selon les cépages

Selon Cyril Cassarini, la stratégie dépend des cépages. S’ils sont précoces : chardonnay, pinots… ils risquent d’être attaqués tôt. Dans ce cas, un premier traitement visant la G2 d’eudémis permet de contrôler le début du vol des Cryptoblabes. Puis, il faut repasser fin juillet, début août pour une deuxième application spécifique. Si l’on a des cépages tardifs comme le marselan, le mourvèdre, le cabernet… le technicien recommande un traitement vers le 10 août. Benoît Planche se base sur l’historique de la parcelle qu’il croise avec la sensibilité du cépage et les piégeages pour conseiller les traitements : un à deux selon les situations.

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En conventionnel, les techniciens recommandent généralement Affirm/Proclaim à base d’émamectine, un produit commercialisé par Syngenta. « Il fonctionne bien quand il est positionné au début des vols », indique Cyril Cassarini. « Il agit sur les oeufs et sur les larves baladeuses. Pour optimiser son efficacité, il est impératif de cibler les grappes et d’intervenir en face par face », détaille Jean Litoux. Sa persistance d’action est de vingt-et-un jours avec un effet choc de quatorze jours. Son DAR est de sept jours. Trois traitements maximaux sont autorisés. Radiant à base de spinetoram est également efficace. Mais l’inconvénient est qu’il est classé CMR.

Cryptoblabes est un Pyralidé. Et ceux-ci « ont horreur des pyréthrinoïdes. Dans les zones de lutte contre la cicadelle de la flavescence dorée, il est donc possible de caler l’un des traitements obligatoire en juin, au moment du vol de crypto », précise Cyril Cassarini.Des combo en biocontrôle

En bio, les vignerons peuvent recourir au spinosad (Fycilia, Success…) qui « fonctionne bien », selon Cyril Cassarini. Attention toutefois à son DAR qui est de quatorze jours. Selon le technicien, les Bt sont également intéressants. « Comme la chenille de Cryptoblabes est baladeuse, elle va manger beaucoup de toxine. Pour optimiser l’efficacité du traitement, il faut travailler avec un volume d’eau d’au moins 200 à 300 l/ha. Les Bt se renouvellent tous les huit jours » Autre avantage : leur DAR de un à trois jours « ils sont donc plutôt utilisés en fin de saison », observe Cyril Cassarini. Selon lui, les vignerons positionnent généralement un spinosad au moment de la G2 d’eudémis, une intervention qui va également permettre de contrôler cryptoblabes, puis ils repassent avec des Bt en août. Ils peuvent également faire des combo avec les trichogrammes, des microguêpes qui parasitent les œufs. Ceux-ci sont commercialisés par Phyteurop/Bioline dans les diffuseurs Tricholine Vitis. « Leur efficacité de l’ordre de 50 % est intéressante. Mais ils nécessitent deux poses et seuls ils ne suffisent pas. Il faut compléter par des Bt. C’est assez coûteux », note le technicien. Sans compter que les trichogrammes sont sensibles à de nombreux produits phytosanitaires appliqués dans les deux à six semaines avant la pose, dont le soufre.

Quid de la confusion sexuelle ? La société espagnole SEDQ Healthy Crops a développé le diffuseur Cryptotec, distribué par les Ets Magne. La difficulté est que Cryptoblabès est polyphage et navigue entre plusieurs cultures. « La confusion ne fonctionne pas bien sur ce ravageur. L’efficacité est très variable et très aléatoire pour un coût important », regrette Cyril Cassarini.

133 €/ha en moyenne pour lutter contre cette pyrale

5 % par an en moyenne sur l’ensemble des vignes avec un maximum de 15 à 20 % dans les parcelles les plus attaquées. Telles sont les pertes de récolte que provoquent Cryptoblabes, selon les estimations des vignerons qui ont répondu à l’enquête réalisée en 2023 par l’IFV et ses partenaires techniques régionaux (Civambio, Sudvinbio, Interbio Corse, chambres d’agriculture…), sur l’ensemble des vignobles de l’Arc méditerranéen. À cela s’ajoutent les pertes qualitatives et le coût de la lutte. Celui-ci s’élève à 133 €/ha en moyenne (produit + passage). Le coût est plus élevé en bio : 149 €/ha en moyenne (avec des écarts allant de 50 € pour un traitement à 430 € pour 6 traitements et une pose de trichogrammes) contre 110 €/ha en conventionnel (avec des écarts allant de 36 à 330 €/ha). L’enquête confirme également que l’insecte étend son aire géographique : il ne se cantonne plus au littoral méditerranéen mais progresse à l’intérieur des terres vers le Nord et l’Ouest.