La vigne régénérée par la reproduction sexuée

En Italie, le domaine Foradori entretient depuis vingt ans une « nursery » de plants de vignes issus de pépins de raisins. Une pratique née de l’attachement familial à la diversité génétique de ses plants de vignes, mais aussi à une vision à très long terme.

Par Julie Reux Le 03 novembre 2024

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La vigne régénérée par la reproduction sexuée

– crédit photo : Familia Foradori

Dans le Nord de l’Italie, le domaine Foradori est célèbre pour sa mise en valeur du cépage autochtone teroldego, depuis les années 90, à contre-courant de la mode. Un peu moins pour sa « nursery » (sic) de plants de vignes créée au début des années 2000. « Après l’envie de conserver notre patrimoine local, mes parents se sont demandé pourquoi rester toujours sur la même génétique, puisque pendant des siècles, les paysans ont créé et sélectionné des plantes », explique Theo Zierock, un des fils de ce domaine familial, dirigé par sa mère Elisabeta Foradori. Dans la foulée, les premiers semis de pépins ont eu lieu en 2005. « De 2015 à 2021, c’est devenu un projet de recherche en partenariat avec l’Université de Milan et l‘éminent professeur Attilio Scienza, aujourd’hui retraitéNous allons mener notre troisième session en 2024. »

Le process est très minutieux : « On identifie les pieds intéressants pour leur vigueur, leur état sanitaire, etc. dans notre vignoble, on protège les fleurs avec un sac pour éviter les croisements dus à la pollinisation, on marque les fruits puis, quand ils sont vraiment mûrs, on récupère les pépins, décrit le vigneron. Nous les envoyons à l’Université qui fait un tri par génotypage. Puis nous les semons directement dans le sol. »

Il faut ensuite attendre six ou sept ans, en taillant la vigne de façon à favoriser l’allongement et la fabrication de bois (et non de fruits), pour que la plante puisse être clonée (bouturée) sur porte-greffes. De là, « deux sur cent donneront des fruits au bout de cinq ou six ans, et 90 mourront. Et nous, nous choisissons au fur et à mesure ceux qui nous intéressent. »

 « Les résultats sont pour ainsi dire aléatoires », explique-t-il en montrant (en visio), la nursery. Feuilles, bois, carences, port… aucun pied ne ressemble à l’autre. La nursery représente « très peu de travail », estime Théo. D’autant que le projet attire nombre de stagiaires missionnés pour répertorier, analyser, décrire, etc. l’évolution des nouveaux plants, et respecter les règles sanitaires au moment du bouturage.

10 000 pépins pour trois pieds de vignes

« Tous les vignerons devraient semer des pépins de raisin dans un coin de leurs parcelles »

Pourquoi, dans ce cas, la pratique n’est-elle pas plus répandue ? « L’efficacité, analyse le vigneron. Le délai entre les premiers essais et la mise en production, c’est celui d’une génération. Mais de la même façon, quand j’étais petit, le domaine cultivait 36 génotypes de teroldégos. Aujourd’hui on en a soixante. Et quand je mourrai 80. Et peut-être que parmi ces 80, il y a un individu crucial pour le futur. Et ma famille est sur les mêmes terres depuis 300 ans… »

Autre frein : la pratique entre de plein fouet avec ce qu’il appelle la vision « bureaucratique » et les règles européennes ou italiennes encadrant la reproduction de plants de vignes : « Mais c’est un concept étrange, parce qu’ils ne savent pas vraiment vérifier. Et certaines règles ont cent ans, et ont été édictées avec des visées politiques ou dans l’urgence du phylloxéra. On fait ça depuis vingt ans, et on n’a jamais eu aucun problème. »

Pour lui, chaque vigneron devrait donc réserver une portion de ses terres à cet exercice de régénération salutaire. « En deux générations, on pourrait regénérer la vigne. C’est juste de la bonne vieille paysannerie et il n’y a rien d’arriéré là-dedans », avance Théo Zierock. Mais en réalité, moi je le fais surtout parce que je trouve ça fascinant et cool et que ça fait partie de l’histoire familiale.»