Vieilles vignes ou jeunes vignes dans l’élaboration des grands vins ?

Un faux débat?

Le débat n’est pas nouveau et il ne s’agit pas ici de le trancher dans un sens ou dans un autre mais de donner le point de vue de certains viticulteurs sur ce sujet. Quand on regarde bien les arguments des uns et des autres, on s’aperçoit que les points de vue ne sont pas aussi divergents qu’on pourrait le penser. On doit probablement à Robert ( Rocky) O’Callaghan du domaine de Rockford dans la Barossa Valley en Australie d’avoir remis ce débat au goût du jour dans les années 1980 quand les autorités australiennes décidèrent l’arrachage des vieilles vignes pour contrebalancer la surproduction. La prime à l’arrachage n’étant pas négligeable, certains cédèrent à la tentation de brûler les vieux vignobles, ce qui fit dire aux habitants de la région que la Barossa « était en feu ». Rocky O’Gallaghan, avec certains des viticulteurs les plus connus, Peter Lehman du domaine éponyme (récemment décédé), Bob McLean de St Hallet se résolurent à convaincre les sceptiques de l’énormité d’une telle décision. Si beaucoup de vignes partirent en fumée, les interventions de ces Robins des Bois des temps modernes permirent de limiter la casse et de sauver une bonne partie du patrimoine viticole de la région.

VIEILLES VIGNES DANS LE SWARTLAND EN AFRIQUE DU SUD


On peut légitimement se poser la question de savoir si cela a un sens de garder des vignes dont les rendements sont si faibles qu’ils peuvent mettre en danger la viabilité commerciale des domaines. L’argument principal des ‘conservationnistes’ est simple : les vieilles vignes font de meilleurs vins. Le professeur Deloitre, ex-directeur de l’université viticole de Stellenbosh, admet qu’il n’y a pas réellement de fondements scientifiques à une telle assertion. Eben Sadie, du domaine Sadie Family en Afrique du Sud, décrit par certains de ses pairs comme « un trésor du patrimoine viticole sud-africain », est un aficionado de l’utilisation des vieilles vignes et il n’utilise que des raisins qui proviennent de vieux vignobles pour élaborer ses cuvées. Pourtant Eben Sadie est beaucoup plus mesuré dans ses propos quand il déclare : « c’est possible, même si c’est difficile de contrôler la vigueur de la vigne dans les 20 premières années et on peut faire de très bons vins avec des jeunes vignes. Les vieilles vignes ne permettent pas des rendements importants et les petits rendements ne sont pas toujours la meilleure solution pour obtenir la meilleure qualité  » sans parler bien sûr de l’aspect commercial qui n’est pas non plus évident.
Alors, l’utilisation de vieilles vignes serait-elle un coup de marketing génial pour vendre cher et plus facilement dans un monde qui croit toujours plus à l’image et à la représentation qu’ à la réalité?
Pour Manfred Krankl du domaine de Sine Qua Non, qui croit dur comme fer que les vieilles vignes ne sont pas nécessaires pour faire des grands vins, c’est un faux problème : « On peut faire des grands vins avec des jeunes vignes’ ». Mais il est en complet accord avec Eben Sadie, ce ne sont pas les faibles rendements obtenus par une taille draconienne ou les vendanges en vert qui produisent nécessairement les meilleures qualités. C’est le contrôle de la vigueur de la vigne qui donne la qualité aux raisins.

MANFRED KRANKL DE SINE QUA NON


Pour Manfred Krankl : « Que l’on obtienne des petits rendements avec des vieilles vignes auto-contrôlées ou en contrôlant la vigueur de la vigne, de toute façon les vins seront chers.
L’ avantage des jeunes vignes c’est qu’elles sont en général plus saines que les vieilles vignes qui peuvent être atteintes par des maladies, en particulier virales. Une grappe par pied a la même valeur financière sur une jeune vigne que sur une vieille vigne’ ». Mais Rocky O’ Callaghan n’est pas sans faire remarquer que :  » les vieilles vignes ont moins d’énergie, elles produisent donc des grains plus petits, des grappes aussi plus petites et moins de grains par grappes. Comme la couleur et les arômes sont concentrés dans la peau, des plus petits raisins ont un ratio peau-jus plus important ce qui leur donne plus de couleur et de concentration ».
Quand on demandait à Joe Heitz, un des pionniers de la viticulture californienne dans la Napa Valley: « combien faut-il de temps pour qu’une jeune vigne produise des raisins de qualité?’ », Joe, qui n’était pas dépourvu d’humour, répondait : « Deux ans’ »et tout monde pensait qu’il plaisantait. Mais pas du tout, et il avait raison car la différence fondamentale entre la Californie et la France, c’est l’irrigation. La vigne est une plante, elle a besoin d’eau. Si vous lui fournissez de l’eau quand son système racinaire est peu développé elle n’a aucun problème. Par contre, si la vigne est soumise à un stress hydrique, sa capacité d’adaptation est limitée et il faut que son système racinaire se développe au fil des ans pour pouvoir faire face au stress jusqu’à ce qu’un certain équilibre se fasse après 10-15 ans. C’est souvent pourquoi il existe une variation importante dans les vins entre les millésimes quand les vignes sont jeunes.
Tous les viticulteurs s’accordent sur un point, la limitation des rendements est un des facteurs principaux de la qualité du raisin mais on peut avoir une meilleure qualité dans certains millésimes avec des rendements plus élevés que dans d’autres où les rendements sont plus bas. Il n’y a donc pas une corrélation parfaite entre petits rendements et meilleure qualité.
Les rendements optimums sont conditionnés par le terroir, en particulier l’ensoleillement et aussi, bien sûr, par le cépage. Il existe une réelle différence entre les régions climatiques chaudes et celles qui sont plus fraîches. On peut plus facilement faire mûrir les raisins en Californie, au Chili, en Argentine, des pays qui ont 25 à 30% d’ensoleillement supérieur et où il ne pleut pas que dans des pays où les conditions climatiques sont beaucoup plus inégales comme en Europe. Les vignes des pays plus chauds peuvent supporter une charge plus importante sans diminution de qualité.
Essayez de faire pousser un plant de tomate au pôle nord et un au sud de l’Espagne et vous constaterez la différence… !!
Une conversation avec feu Dick Ward, du domaine de Sainstbury dans la Napa, est révélatrice de ce dilemme. Je lui demandais si 60 hectolitres par hectare n’étaient pas des rendements trop importants pour son chardonnay Réserve. Sa réponse fut lapidaire : « on a essayé de descendre les rendements à 40 hectolitres par hectare et on avait de moins bons résultats, c’est une question d’équilibre de la vigne ». C’ est vrai qu’avec le chardonnay c’est relativement facile de « charger la mule ». Un beau boisé derrière, un élevage sur lies, de la fermentation malolactique et le tour est joué. Personne à mon avis ne s’y risquerait avec le pinot noir. Cette méconnaissance des différences climatiques sur les rendements expliquent pourquoi beaucoup de viticulteurs français, non des moindres et malgré tout leur savoir-faire, se sont fourvoyés dans les années 1980-1990 en voulant faire du Bordeaux dans les pays du Nouveau Monde avec des résultats qui parfois frisaient la caricature.
Heureusement, les investisseurs, viticulteurs et consultants français ont su rectifier le tir depuis cette date.