VOYAGES

LA PLUS BELLE ROUTE DES VINS DU MONDE SALTA- CAFAYATE- ÉPISODE 2

LA MYTHIQUE ROUTE 40
Comme déjà mentionné, de Salta deux itinéraires, et pas plus, mènent à Cafayate. Le premier par la nationale 68 se parcourt en deux heures à l’aise, en conduisant en père peinard, le second par la mythique 40 en deux jours alors que le détour ne fait doubler la distance à parcourir en rallongeant seulement de 150 km. Mais le parcours en vaut la peine ; il gratifie ceux qui osent s’y aventurer de pas mal d’émotions en tout genre, allant du frison qui parcourt l’échine quand on prend conscience qu’on longe un ravin sans fond et qu’il y a tout juste la place pour croiser un autre véhicule à l’ébahissement devant la beauté cosmique des panoramas qu’offrent les Andes. Pour les deux Singes, le choix du second itinéraire, ça allait être leur Dakar. Ils allaient se la jouer à la Stéphane Peterhansel (second au général voiture en 2014), mais avec modération, pas comme quand ils s’adonnent à quelques libations viniques qui sont aussi une forme de sport, mais d’un sport churchillien. Le lendemain, quand la matinée tirait à sa fin car ils ne sont pas du genre à s’arracher du pieu à potron-minet même si la veille au soir, à l’instar de grands champions, ils ne s’étaient pas livrés, contrairement à leur habitude, à des excès de levers de coude, ils prirent place à bord de la petite japonaise d’un rouge flamboyant facile à repérer au bas d’un abîme, ce qui facilite la tâche des sauveteurs. Le feulement de son moteur indiquait qu’il s’agissait d’une petite vigoureuse. Ca rassure. Et comme trousse de secours, ils avaient embarqué, bien que ce fusse une hérésie pour eux mais on n’a rien sans sacrifice, deux bouteilles d’eau. L’altitude dessèche les gosiers, leur avait-on dit. Adossé à une falaise d’au moins 200 m, à 1 187m d’altitude, Salta est une ville de 500 000 habitants dont le style architectural du temps de la colonie espagnole a été jalousement préservé malgré son expansion. Elle se situe au milieu d’une vallée agricole riche qui exporte en Asie, en Amérique du nord et en Europe. C’est aussi le foyer de la culture gaucha. Le gaucho est le pendant du cow boy mais en plus classe, tout ce qui lui sert à monter est en argent, étriers, éperons, ornement de la selle, etc… Son climat méditerranéen a attiré quelques retraités européens qui se la coulent douce.

Salta: la place centrale


Pendant 30 km cap au sud, après la sortie de la ville, on traverse une campagne prospère, luxuriante. Puis arrivé à un bourg qui s’appelle El Caril, on tourne à droite et on entame la montée d’un col de 15 km. D’un paysage dominé par le couleur ocre, on passe rapidement à un vert dense. On se croirait soudain transporté dans les Alpes. Un océan minéral de sommets. Plus la petite tire écarlate japonaise gravit la pente avec détermination, plus les arbres deviennent rares et finissent par céder la place à une végétation qui se raréfie. Quand on arrive au sommet à environ 2 000 m, on débouche sur un vaste plateau couvert de cactus géants, deux à trois fois plus grands qu’un homme de bonne taille, alternant avec des caroubiers. De-ci delà, on y aperçoit une rare vigogne qui paisse une herbe rare. Le ciel est d’un azur dense sans la présence du moindre soupçon de nuage. Au loin se dessine la silhouette tremblotante de pics aux neiges éternelles comme la Cumbre del Libertador (le Sommet du libérateur) qui culmine à 6 38O m. Au terme d’une partie sinueuse, la route, la nationale 51, asphaltée, en bon état, file pendant 60 bons kilomètres tout droit devant elle vers le Chili. Durant tout le trajet, on n’y croisera que trois camions boliviens en provenance du port d’Antofagasta, sans doute chargés pour moitié de produits de contrebande sans laquelle l’économie de leur pays, le plus pauvre du sous-continent américain, serait asphyxiée. Donc les douanes ferment les yeux en échange de quelques faveurs sonnantes. Au bout de cette route que la petite japonaise a avalée avec allégresse, on arrive au carrefour avec la 40, un peu avant la bourgade dénommée San Antonio de la Cobres qui se résume à quelques habitations en bordure de la route. On tourne à gauche toute, à un lieu-dit Munano, et on entame une descente qui nous ramène à une altitude inférieure de 500 m.



Le paysage change du tout au tout. La route n’est plus asphaltée. Si on ne veut pas être secoué comme des glaçons dans un shaker, il faut maintenir une bonne allure aux alentours de 70/80 kms. Pendant des kilomètres, on longe côté ouest de la vallée une haute falaise rose. Les cours des rares exploitations agricoles sont d’un rouge vif. Ce sont des gros piments qui sèchent au soleil. Ils sont destinés à la confection du Tabasco. Comme la pomme-de-terre, la tomate, le piment est originaire d’Amérique du sud. C’est l’unique culture, destinée principalement à l’exportation, de cette région. A la sortie d’un hameau sans âme qui vive, ne comptant que cinq habitations en torchis, les deux Singes, décidés à se prendre pour des anthropologues à la Claude Levy Strauss, embarquent une vieille amérindienne qui faisait du stop. Elle est coiffée d’un chapeau traditionnel blanc de style haut-de-forme, vêtue d’une pollera (sept jupes enfilées les unes sur les autres). La conservation tourne court. Elle ne baragouine que quelques phrases rudimentaires en espagnol. Elle parle quechua, la langue de l’ancien empire de l’Inca (empereur) toujours très pratiquée avec l’aymara, autre langue autochtone, dans le monde andin. Au bout de 15 kms, elle demande qu’on la dépose et elle s’en va, baluchon sur le dos, par un sentier qui doit la conduire chez elle.

Le moment crucial arrive : la montée du col d’Abra del Acay (4895 m), le point culminant de la route 40. Troisième, seconde, première, seconde, première, seconde, la petite, mais virile, japonaise s’enfile la raide montée avec obstination. Elle souffre mais ne capitule pas. Les deux Singes ont le souffle court. L’oxygène se raréfie. Plus la route monte, plus la température baisse. Le décor devient lunaire. Hormis les deux Singes, il n’y pas le moindre indice d’une présence humaine.



Col d’Abra del Acay
Une fois au sommet, c’est l’extase. On découvre un océan minéral de sommets. Ils font songer à des vagues pétrifiées d’une mer agitée à forte. Un pic aux neiges éternelles, le Nevado de Acay (5 716 m) coiffe ce décor qui incite à la métaphysique et rend mutique. « Tu t’imagines, on est 85 m plus haut que le Mont Blanc (4 810m), fait remarquer un des Singes à l’autre. Jamais je n’aurais imaginé qu’on pouvait faire de l’alpinisme avec une voiture. – Pas alpinisme mais andinisme, lui répliqua l’autre, le tatillon.