VOYAGES

LA PLUS BELLE ROUTE DES VINS DU MONDE

Par Ricardo Uztarroz & Claude Gilois ​
SALTA-CAFAYATE-ARGENTINE NORD

Longue de quelque 350 km à travers les premiers hauts contreforts orientaux de la cordillère andine, elle offre une variété de paysages à couper le souffle qui va de la luxuriance tropicale, à des champs à l’infini de cactus deux à trois fois plus hauts qu’un homme, à l’aridité lunaire sablonneuse en passant par une débauche minérale aux teintes passant du rose, à l’ocre, puis à toutes les variétés de gris. Surtout elle emprunte sur près de 200 km un tronçon de la mythique Ruta 40 (Route 40) qui est à ce pays sud-américain, aussi étendu que l’Inde(1) mais peuplé de seulement 45 millions d’habitants, ce qu’est la Road 66 aux Etats-Unis. Sur plus de 5 000 km, sous une chaleur de plomb, elle longe la chaîne des plus hauts sommets qui culminent souvent à près de 6 000 mètres, voire plus, et leurs neiges éternelles immaculées, entre la frontière avec la Bolivie et le cap Virgenes, à l’extrême sud la Patagonie, à l’entrée du détroit de Magellan, côté atlantique.



Cette Route 40 n’est en réalité la plupart du temps qu’une piste de terre battue et caillouteuse, à peine plus large que deux voitures, et parfois moins dans les parties escarpées à flanc de montage, surplombant un précipice à donner le vertige. Dès qu’on s’y engage, vous revient en mémoire des scènes du Salaire de la peur (2). Elle est aujourd’hui très prisée par les motards du monde entier amateurs de virées au long cours et d’émotions fortes. Si le mot oenotourisme est plutôt une invention américaine des années 80 dans la Napa Valley, le concept est lui bien français. En 1953, l’Alsace a créé la première route dite des vins. Elle s’étendait sur 170 km permettant de visiter les domaines du Haut et Bas Rhin. L’exemple ne fut pas suivi par les autres régions vinicoles. L’idée a été remise au goût du jour depuis une dizaine d’années notamment sous l’impulsion d’Andrée Deyrieux grâce à son magazine en ligne winetourisminfrance.fr. Sous le parrainage du ministère des Affaires étrangères vient d’être créé tout récemment un pôle d’excellence dont la fonction sera de coordonner tous les acteurs du secteur. Désormais, les autorités françaises et la profession prennent l’affaire très au sérieux, voyant dans cette forme de tourisme la possibilité d’attirer une catégorie aisée de visiteurs étrangers. Est-ce que cette impulsion sera-t-elle suffisante pour le combler le retard qu’a pris paradoxalement la France, premier pays vinicole du monde qui aurait dû être à la pointe dans ce domaine ? Mais ceci est un autre sujet.

200 KMS SUR LA RUTA 40 À COUPER LE SOUFFLE ET A EN AVOIR PLEIN LES MIRETTES

Le jeune loueur de voitures, à la dégaine, forcément puisqu’on était en Argentine, de danseur de tango avec ses cheveux de geai gominés peignés en arrière, engoncé dans un étriqué costume bleu-nuit, cambré comme un torero s’apprêtant à donner l’estocade fatale au toro, en resta tout estomaqué, comme s’il avait encaissé un coup en plein plexus solaire. Son sourire commercial se mua en un fugitif rictus exprimant un soudain désarroi avant de refaire prestement bonne figure comme l’y contraignaient les obligations de sa tâche. Il venait de remettre avec obséquiosité la clé du véhicule accompagnée du contrat de location glissé dans une enveloppe aux deux Singes en hiver, tignasse et barbe blanches, avachis sur leur chaise de l’autre côté du bureau, qu’il avait fait poireauter deux bonnes heures dans un aéroport sans âme qui vive. Depuis deux jours tous les vols en provenance ou à destination de Buenos Aires étaient annulés. La Pampa était en flamme. Comme chaque automne, les grands éleveurs avaient allumé pour fertiliser les pâturages de leurs haciendas dont les plus petites font 10 000 hectares, de gigantesques brûlis qui avaient échappé à leur contrôle, les pluies qui les éteignaient habituellement n’ayant pas été au rendez-vous cette année-là. La capitale argentine baignait dans un épais smog crépusculaire qui obligeait les automobilistes à allumer leurs phares en plein jour et avait semé une incommensurable pagaille dans le trafic aérien. Les autorités avaient même envisagé de distribuer des masques à gaz aux enfants et aux vieillards. Le seul vol attendu ce jour-là à Salta, capitale éponyme de cette province des confins nord-ouest du pays, était l’avion de 22 heures de Santa-Cruz de la Sierra, poumon économique de la Bolivie. Faute de chalands, boutiques et la cafeteria avaient tiré leurs rideaux. Sur la porte vitrée de l’agence de location de voitures, un panneau invitait un très hypothétique client à appeler un portable. Il avait fallu aux Singes un nombre incalculable d’appels avant que le jeune loueur se décide à apparaître. On était à la mi-journée. Au premier appel, il avait dit : «Venez au centre-ville » Il lui fut répondu : « On veut bien mais y a pas de taxi et celui qui nous a déposé est reparti ». Ensuite aux autres appels, la réponse était immuable : « J’arrive de suite » En espagnol sud-américain « de suite » signifie qu’on ne va surtout pas se presser car à quoi bon se presser puisque le temps ce n’est que du temps. Bref « de suite » est synonyme de « patience ». Finalement, quand il remit la clé du véhicule, « le dernier qui me reste, souligna-t-il », il accompagna son geste d’une question que lui dictait la courtoisie commerciale plus qu’une curiosité personnelle : « Alors, messieurs que comptez-vous visiter pendant votre séjour parmi nous. Ici, à Salta, la province la plus belle d’Argentine (sur ce point, il avait amplement raison), il y a une foultitude d’excursions à faire ? …. – Ben, nous allons à Cafayate visiter le vignoble, un des plus hauts du monde… Nous sommes dans le vin… On sélectionne pour le marché français les vins étrangers… – Très bien… C’est formidable, passionnant…Cafayate, par la route asphaltée, la 68, n’est qu’à deux heures. Il y a 150 km… Il y a des panoramas magnifiques tels que la Gorge du Diable… – C’est-à-dire, que nous nous comptons y aller par la 40… Il en resta coi, donnant soudain l’impression de vouloir reprendre la clé et déchirer le contrat. Dans son for intérieur, il s’était dit : « Merde, je viens de faire ma bourde de la journée. Au mieux, ces deux vieux vont me rendre une épave, au pire je devrais faire récupérer ce qui restera de la bagnole au fond d’un ravin. J’ai affaire à deux givrés séniles qui se prennent pour Indiana Jones… J’aurais dû m’en douter quand je les ai vus… » La qualité première du bon commercial est de ne pas laisser décontenancer par les incongruités des demandes des clients. Il se ressaisit promptement. « Permettez, dit-il sur un ton affable. Vous savez dans quel état elle est ? C’est une route de terre, caillouteuse, dangereuse par endroits… Elle monte à son point culminant à 4 900. On respire mal là-haut…. Elle est très étroite, très risquée. – Pas tant que ça, faut pas exagérer, lui répliqua un des deux Singes. Je l’ai faite il y a deux ans… avec ma femme et nous sommes toujours vivants. » Alors là, le jeune loueur s’est dit : « C’est plus grave que je l’imaginais… » Il reçut à cet instant un coup de fil salvateur qui lui épargna de répondre. « Votre voiture vient d’arriver… Elle est sur le parking, juste devant la porte du hall des arrivées ». Les deux Singes traversèrent le hall. La voiture était la seule sur le parking. C’était une petite cylindrée de marque japonaise, pas idéal pour le périple qui les attendait. A Suivre

1 – Sa population dépasse 1,2 milliard d’individus, soit 30 fois plus que celle de l’Argentine

2 – Roman de Georges Arnaud, publié en1950 et adapté en 1953 au cinéma par Henri-Georges Clouzot avec Yves Montant et Charles Vanel dans les deux principaux rôles.