Le collage des vins

Une technologie qui n’est pas sans poser de problèmes.

HISTORIQUE
Le principe du collage[1]n’apparaît dans la littérature qu’au XVIIe siècle avant que son utilisation ne se répande au XVIIIe siècle, mais ce n’est qu’au XIXe siècle que son usage devient systématique. Historiquement, il coïncide avec une demande importante et une surconsommation de vin. En France, les pouvoirs publics prirent conscience qu’elle était devenue un problème de santé publique majeur, qui ne commença à se résorber qu’à partir des années 1980 ( la campagne du verre de lait dans les écoles du gouvernement Mendès France du milieu des années 50). Durant cette période, largement post-phylloxérique, la viticulture devint essentiellement une monoculture et les volumes importants nécessaires pour abreuver la population provenaient largement du sud de la France. Les vins étaient souvent coupés avec des moûts en provenance des pays du Maghreb. Les vins étaient vendus rapidement aux négociants et étaient « bruts de cuves » après avoir été élaborés à partir de raisins souvent de piètre qualité dans des cuves en ciment riches en fer et en cuivre avec des tannins souvent astringents, pas mûrs et amers. Le collage fut un moyen curatif pour tenter d’améliorer la qualité de produits déficients dans la conduite de la viticulture et l’élaboration des vins.

[1]Méthode de clarification du vin, des liqueurs, qui consiste à leur ajouter une substance appelée colle, capable de se déposer en entraînant les particules en suspension. (On utilise soit des colles minérales, comme le kieselguhr, soit des colles organiques, comme le blanc d’œuf, la caséine.)


​À partir des années 1980, l’amélioration des techniques de vinification et les conseils des œnologues permirent d’affiner la technique du collage avec plus de précision dans une logique de prévention et de préservation et d’amélioration des caractéristiques organoleptiques et visuelles des vins. Dès lors, le collage se pratiqua sur des plus petits volumes et avec des colles plus différenciées. La fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle virent l’apparition d’une règlementation plus rigoureuse de l’étiquetage sur l’usage des colles. L’utilisation de la mention « non collé, ni filtré » fit son apparition chez certains producteurs pour se démarquer de ceux qui faisaient souvent avec le collage un usage intempestif de technologies jugées néfastes à la qualité du vin. Cette mention impliquait, de facto, pour les professionnels et les amateurs éclairés un surcroît de qualité dans les vins. Le développement de la filtration allait encore réduire la perception positive du collage dans l’élaboration des vins fins. Mais le marché des vins s’était segmenté en 2 grands groupes distincts avec l’apparition du « consumérisme » dans les années 1960: les vins industriels, souvent massifiés et les vins que l’on appelle parfois vins « haute couture » produits dans des volumes plus restreints avec une grande rigueur dans la conduite de la vigne et de la vinification. Le groupe des vins industriels avait adoubé un grand nombre de technologies mises à leur disposition par l’industrie chimique et agroalimentaire alors que les producteurs de vins fins s’en démarquaient de diverses façons et adoptaient peu à peu les méthodes d’intervention minimum.

La question fondamentale aujourd’hui est de savoir si le collage améliore ou détériore la qualité du vin. Avant d’essayer de répondre à cette question, il convient d’abord de connaître la composition du vin, quels sont les produits de collage et leur mode opératoire.


LA COMPOSITION PHYSICO-CHIMIQUE DU VIN
Le vin est un milieu complexe qui contient près de deux cents constituants dont tous ne sont pas identifiés. C’est principalement une solution hydro-alcoolique qui solubilise la plupart de ses composants (87,5% d’eau à 12,5%). On y trouve aussi des acides (tartrique, malique, citrique, lactique, acétique et succinique), du glycérol, du sucre résiduel, des vitamines, des esters, des aldéhydes et des minéraux.
Cependant, une partie des constituants reste en suspension, en particulier dans les vins rouges, sous forme de particules colloïdales[1] qui ont une importance primordiale pour la qualité organoleptique du produit. Les principaux éléments colloïdaux du vin sont les tanins, des mélanges de molécules colorantes naturelles (les dérivés des anthocyanes) et de polyphénols. Ils sont issus de la peau du raisin, du passage en fûts (pour les vins de qualité) ainsi que des réactions chimiques lentes (oxydations) ayant lieu au cours de l’élevage.

[1]Suspension de particules dans un vin:
​-Polysaccharides (polysaccharides pectiques, mannoprotéines, β. Glucane,…)

Protéines

Matière colorante colloïdale – Colloïdes micellaires ( agrégats de molécules simple): colloïdes ferriques, cuivriques, complexes tanins/protéines, cristaux de tartres
Toutes ces substances contribuent à la qualité du vin et ne sont pas nécessairement néfastes mais elles ne font pas le bonheur des commerciaux car elles peuvent rendre les vins rouges un peu troubles et causer des précipitations tartriques ou de légères floculations sur les blancs, souvent quand les volumes de vendange et de vinification sont importants. On procède donc souvent à un collage préventif pour éviter ce qui est aujourd’hui considéré comme des défauts du vin. Cependant, certaines substances utilisées pour les collages sont peu engageantes et il est bien difficile de savoir quelles sont les substances colloïdales qui ont été retirées et quels sont des effets de ce processus, qui semble plus empirique, que scientifique sur le produit final.

LES PRODUITS DE COLLAGE


Les colles organiques animales
Le blanc d’œuf : L’albumine sert à la clarification des vins rouges plutôt de garde. C’est une colle douce qui ménage les qualités organoleptiques des vins. Il s’agit en fait du blanc de l’œuf, utilisable frais, congelé ou sous forme de poudre à réhydrater. Même si le produit peut être qualifié de rassurant, il n’est pas sans poser de problèmes puisque son origine animale le rend impropre à la consommation pour les végétariens, végétaliens (végans). De plus, c’est un produit allergène dont la concentration au-dessus de 0,25 g/l. doit être indiquée sur l’étiquette.

La caséine : les caséines sont des protéines qui constituent la majeure partie des composants azotés du lait. Elles sont utilisées pour la clarification des vins blancs et rosés et prévient ou traite des phénomènes de madérisation. C’est en fait la principale protéine du lait, utilisée sous forme de caséinate (ou caséine) de potassium plus soluble dans l’eau. Tout comme l’albumine, c’est un produit potentiellement allergénique et il doit donc être mentionné à une concentration au-dessus de 5 g/hectolitre.

La gélatine: elle est utilisée pour la clarification des vins rouges ou rosés. Elle diminue l’amertume et l’astringence. Les protéines sont extraites du collagène de peaux ou d’os (porc, bœuf, poisson), plus ou moins hydrolysées par chauffage et traitements. Comme la caséine et le blanc d’œuf, elles ne sont pas appropriées pour les végétariens et les végétaliens.

La colle de poisson : c’est une protéine extraite de vessies natatoires de poissons. Elle est utilisée pour la clarification des vins blancs et rosés. Elle apporte brillance et finesse au vin ! Vous reprendrez bien un peu de colle de poison pour terminer votre repas. À éviter si vous êtes végétariens ou végans.

Les colles minérales
La bentonite : c’est une argile naturelle qui fixe les colloïdes des vins rouges et les protéines des blancs. La bentonite est souvent utilisée pour des vins rouges thermo-vinifiés (chauffage de la vendange à 70 °C avant la fermentation) de larges volumes de raisins ainsi que pour des vins blancs faits de raisins atteints par un pathogène après la véraison[i].

[i]EVITER LE TROUBLE PROTÉIQUE DANS LE VIN BLANC EN BOUTEILLE.E.J. Waters, G. Alexander, R. Muhlack, K.F. Pocock, C. Colby, B.K. O’Neill, P.B. Hoj et P. Jones


​Le gel de silice : il active le collage et compacte les bourbes. Il est utilisé en combinaison avec la gélatine pour obtenir un meilleur compactage des bourbes. Ce sont des suspensions de silice qui forment des gels à pH bas. Chargés négativement, ils réagissent avec les protéines du vin et ils se substituent aux tannins.

Les colles organiques végétales
Les protéines de pois: comparable à la PVPP et à la caséine, cette colle est plus adaptée aux vins bancs et rosés. Elle limite l’évolution oxydative de la couleur en diminuant les polyphénols oxydables. Elle est moins bien adaptée aux rouges et peut donner aux vins à forte concentration tannique des notes végétales.

Les protéines de pomme de terre: c’est un agent de collage dont l’efficacité est similaire aux produits classiques, non allergène. Il s’utilise en curatif contre l’oxydation des moûts mais il est difficilement soluble et plus problématique à utiliser. Il est particulièrement réactif aux tannins astringents des rouges et il peut s’utiliser lors de la fermentation des vins blancs et des vins rouges. La forte réactivité de cette colle et son faible pouvoir colmatant ont permis de développer une technique de collage en ligne des vins rouges et rosés, ce qui permet, en une seule opération de clarifier, de stabiliser et d’améliorer la filtrabilité des vins traités.

Les alginates: ils sont extraits d’algues et sont autorisés seulement pour la clarification des vins mousseux de méthode traditionnelle, en tant qu’adjuvants de triage et ils sont associés à la bentonite. Les doses d’utilisation sont toujours faibles.


Les colles synthétiques
La PVPP (Polyvinylpolypyrrolidone) : s’utilise généralement avec la bentonite. C’est un polymère de synthèse classé comme additif et connu sous le nom d’E1201. En tant que monomère, il est cancérigène et hautement toxique pour la faune aquatique. Interdit en bio, il possède une forte affinité pour les polyphénols qu’il absorbe et il élimine les tannins astringents. Il empêche aussi le jaunissement des vins et réduit la madérisation voire même l’élimine quand elle est présente. Un vrai petit bijou ! Mais même sa forme polymère est sujette à caution car ses effets sont potentiellement carcinogènes.


Les dérivés de levures
Extraits Protéiques de Levures (ou EPL) : ces extraits riches en protéines proviennent du cytoplasme de la levure Saccharomyces. Ils sont capables de floculer dans les moûts et les vins pour permettre leur clarification et leur stabilisation colloïdale en diminuant les tanins les plus agressifs et en entraînant une diminution de l’astringence et de l’amertume des vins. Ils agissent aussi en diminuant la turbidité et accélèrent la sédimentation. En pratique, ces EPL représentent une bonne alternative à l’albumine de l’œuf ou à la gélatine sur des vins de macération longue ou des vins blancs issus de fermentation en barriques.

Les produits à usages spécifiques
La chitine-glucane : C’est un biopolymère (une multi-molécule d’origine biologique issue d’organismes vivants) autorisé depuis 2010 dans l’Union Européenne mais interdit en agriculture biologique. On le trouve, en autres dans des champignons filamenteux en particulier l‘Aspergillus niger. Il apparaît sous forme d’une moisissure de couleur noire sur les fruits et légumes. La chitine-glucane précipite et sédimente et entraîne les composés colloïdaux au fond des cuves ; elle facilite le débourbage et la clarification des moûts et des vins. Elle sert aussi de traitement préventif des casses protéiques[1]. Cette moisissure est un contaminant omniprésent qui est habituellement inoffensif.

[1]Précipité floconneux blanchâtre

Le chitosane : autorisé par l’OIV en 2009 et par l’Union Européenne en 2010 il est cependant interdit en bio. Le chitosane est un polysaccharide[1]préparé à partir d’une origine fongique. Il est extrait et purifié à partir de sources fongiques alimentaires ou biotechnologiques. Le chitosane est principalement utilisé pour abaisser le taux en brettanomyces [2]en dessous du seuil de perception (400-450 µg/l). Il réduit les teneurs en métaux lourds (fer, plomb, cadmium, cuivre) et prévient la casse ferrique et cuivrique, il réduit les contaminants éventuels, en particulier l’OTA (ou l’ochratoxine A). La présence d’ochratoxine A est observée dans les vins français essentiellement dans les vins rouges méditerranéens. Cette toxine est produite dans les raisins contaminés par le champignon Aspergillus carbnonarius et le traitement est plus prophylactique que curatif, il consiste à empêcher le développement des maladies cryptogamiques dans le vignoble.

[1]Glucide naturel, formé par la condensation de plusieurs sucres simples (oses).

[2]Famille de levures qui contaminent le vin rouge lui apportant un goût de sueur de selle de cheval, d’écurie, et de basses-cours. Pour lutter contre ces levures Brettanomyces, l’utilisation de chitosane à 4g/hl est autorisée par l’OIV (Office International du Vin) depuis 2009 et par l’Union Européenne depuis mars 2011.

Les charbons œnologiques : les charbons œnologiques peuvent être utilisés pour corriger des caractères organoleptiques des moûts altérés par des champignons comme la pourriture ou l’oïdium, pour éliminer des contaminants éventuels tels que l’ochratoxine A et pour corriger la couleur des moûts blancs issus de raisins rouges à jus blanc, des moûts très jaunes issus de cépages blancs et des moûts oxydés. Ils ont un fort pouvoir décolorant mais la correction de la couleur sur les rosés peut altérer les caractéristiques organoleptiques du vin.
Ce tour d’horizon un peu long et un peu technique n’est pas inutile car il permet de dégager les avantages et les désavantages


Les techniques sans ajouts de substances

Collage par décantation:
​il a l’avantage de n’utiliser aucune substance et aucun ajout externe dans le vin. Il élimine les fragments tissulaires, cristaux, précipités ( bourbes et lies grossières) ainsi que les gros agrégats et débris cellulaires ( bourbes et lies fines). Il est aussi partiellement efficace pour l’élimination de levures mais celles-ci ne devraient pas exister dans le cas d’une vinification bien conduite et il n’est pas efficace contre les petits agrégats colloïdaux mais ceux-ci n’apportent-ils pas un surcroit de qualité au vin? Il convient mieux aux petits et moyens volumes de vin.

Collage par centrifugation:
LES AVANTAGES
​1. Il permet une clarification des moûts rapide contrairement à un débourbage statique par gravité plus long. Il réduit donc les coûts.

2. Il permet de corriger ou de réduire un certain nombre de problèmes et de défauts des moûts et des vins.

​3. Il donne une apparence plus conforme à l’attente des commerciaux et des consommateurs en empêchant l’oxydation phénolique des vins blancs et en réduisant la turbidité des vins rouges.

LES DÉSAVANTAGES DU COLLAGE

  1. Il est souvent utilisé comme élément curatif pour palier à des déficiences de qualité de la viticulture et/ou de la vinification.
  2. Il masque les défauts du vin.
  3. Il est souvent utilisé comme un filet de sécurité par le maître de chai et ne correspond pas toujours à une nécessité impérieuse.
  4. Il change la structure et la composition des vins.
  5. Il est principalement utilisé pour des volumes de raisins importants et souvent de qualité non-optimale ainsi que pour des vinifications de convenance (thermovinification).
  6. Même si certaines substances ne sont pas classées comme des additifs, leur mode opératoire correspond plus à un adjuvant qu’à une substance neutre et ils auraient dû être soumis à une réglementation plus rigoureuse.
  7. Les collages ne traitent pas la contamination bactérienne.
  8. Certaines substances de collage sont allergènes donc inadaptés à certaines catégories de consommateurs.
  9. Ils ne distinguent pas nécessairement les substances valorisantes des substances néfastes.
  10. Ils doivent être en général suivis d’une filtration qui a de plus en plus tendance à se substituer au collage.