C’en est peut-être fini des compilations et des agrégats des données pour évaluer les surfaces viticoles des pays producteurs et qui donnent, au final, des résultats dont on sait intuitivement qu’ils ne sont que des approximations.
Ce sont les Australiens qui ont réalisé le premier recensement de leur vignoble à l’aide de l’imagerie satellitaire et de l’intelligence artificielle. Le dernier inventaire manuel conduit par les autorités viticoles datait de 2015 et comptabilisait 135 133 hectares de vignes (à peine plus que le vignoble de Bordeaux). La nouvelle technologie en a recensé 146 128 hectares soit 8% de plus que la méthode traditionnelle, un accroissement de 4% par an ce qui semble beaucoup compte tenu de la tendance stable répertoriée par les analystes de l’OIV depuis 2015 (145 000 hectares). Il faut admettre que l’analyse satellitaire et les algorithmes semblent avoir examiné le moindre recoin, la moindre parcelle, le plus petit arpent de terre viticole pour donner des informations pour le moins étonnantes. Le total des rangs de vignes en Australie s’étend sur 463 718 kilomètres, de quoi faire plus de 11 fois le tour de la terre. La densité moyenne de plantation est 3 170 pieds par hectare (faible) et le nombre de vignobles identifiés est de 75 961… d’une précision diabolique. On en reste baba ! Les régions dont les vignobles sont en augmentation sont celles de la Barossa Valley (+1 560 hectares) et de la Margaret River (+966 hectares), deux des régions emblématiques australiennes et une région montante, Riverland (+2 034 hectares). Les régions baissières qui sont Riverina (-2 112 hectares) et Murray Darling (-942 hectares), deux régions de production de vins d’entrée de gamme, très dépendantes de l’irrigation, ce qui confirme le changement de paradigme de l’industrie viticole australienne vers une viticulture plus durable car le bassin hydrologique de l’Australie est l’un de plus petits du monde compte tenu de la taille du pays. Cette technologie a aussi permis de calculer les surfaces d’encépagement des sous-régions viticoles (inconnu jusqu’ alors) comme pout la Hunter GI (Geographical Indication, l’équivalent d’une AOP française). On recense 53% des vignobles dans la sous-région de Pokolbin, 19% à Brooke Fordwich et 18% dans la Hunter Valley. Manque quand même dans cette évaluation la cerise sur le gâteau : l’identification des cépages. Pour un pays comme l’Australie où la diversité variétale est faible, cela ne semble pas être de la science-fiction. Par contre, pour les pays à haute diversité variétale avec des vieilles vignes cela représente probablement aujourd’hui une marche trop importante à franchir pour ce type technologie. Mais pour combien de temps ? Encore faut-il que cette méthode soit exacte, fiable et reproductible. Pour tester la fiabilité du modèle et des algorithmes, les investisseurs (Wine Australia et Consilisum Technology) ont décidé de prolonger l’expérience de 2 ans pour peaufiner l’outil mais la décision a déjà été prise d’arrêter les recensements manuels et de les remplacer par l’usage des satellites et de l’intelligence artificielle.

Le jour où la France perdit sa suprématie

Mais que s’est-il donc passé en cette belle journée du 24 mai 1976 à Paris pour qu’on s’en souvienne encore dans le petit monde hexagonal du vin comme s’il y avait eu un tremblement de terre, un séisme de magnitude de près de 9 degrés sur l’échelle de Richter. Oui, que s’est-il donc passé en ce joli mois de mai il y a maintenant 44 ans pour qu’on se remémore encore cette date comme un jour funeste, pour qu’on la ressente comme une humiliation encore plus cuisante que la défaite combinée de Waterloo et de Trafalgar ?
Ce jour- là, la France a perdu sa suprématie mondiale et incontestée sur les grands vins !
Pas de quoi secouer la planète, diront certains. Certes, pas de quoi bousculer la planète terre mais, par contre, la planète vin, elle, ne s’en est pas encore remise aujourd’hui de cette onde de choc.
Comment un événement dont, en fin de compte, on n’aurait jamais dû entendre parler s’est mué en un coup médiatique génial pour les producteurs californiens et en Berezina pour leurs homologues français ?

That’s the way the story goes :

A cette époque, un jeune dandy (il l’est toujours, plus très jeune mais toujours dandy) anglais, Steven Spurrier, probablement un peu fortuné, se prend de passion pour le vin, et, en particulier, pour les grands crus français. Il rachète la Cave de la Madeleine, baptisée du nom éponyme de la place où elle était située à Paris. L’endroit devint rapidement le lieu de rendez-vous incontournable de tous les anglophones de la capitale amateurs de bordeaux, bourgogne, etc… attirés par les encarts publicitaires que publie régulièrement The Herald Tribune, le quotidien de langue anglaise de Paris (2). En même temps, les Anglais ne faisant jamais vraiment les choses à moitié, il crée aussi, avec Patricia Gallagher, l’Académie du Vin, une école de dégustation qui lui vaut d’acquérir une notoriété certaine qui lui ouvre les portes du gotha de ce milieu un peu fermé qu’est celui des dégustateurs, des producteurs, du négoce et des acheteurs-collectionneurs.
Quatre fois par an, il organise des dégustations avec les plus grands producteurs français, principalement bordelais. C’est dans ce contexte que nait l’idée d’organiser une dégustation comparative de vins californiens et français. A cette époque, ni lui ni Patricia ont une grande connaissance de ces vins lointains, aussi exotiques que méconnus. Ils se mettent en quête d’information et effectuent chacun un voyage en Californie où ils sélectionnent un échantillonnage très représentatif de ce qui se fait de mieux.
A son retour, Stephen Spurrier puise dans ses relations pour constituer un jury à qui reviendra la tâche de partager les crus sélectionnés. Il faut citer les noms de ses membres pour se rendre compte à quel point celui-ci était un concentré de compétences et d’autorité. D’abord, il y avait des viticulteurs, Aubert de Vilaine cogérant du domaine de la Romanée Conti et Pierre Tari, propriétaire du Château Giscourt, un troisième cru classé ; ensuite des restaurateurs, feu Jean Claude Vrinat, propriétaire caves Taillevent et du restaurant Taillevent, un trois étoilés Michelin à l’époque, et feu Raymond Oliver, propriétaire et Chef charismatique du Grand Vefour (aussi un trois étoilés Michelin) ainsi que présentateur d’une émission culinaire très populaire à la télévision ; enfin une journaliste et quelques écrivains spécialisés figuraient, bien sûr, dans ce jury. La journaliste était Odette Kahn, rédactrice en chef de la Revue du Vin de France et de Cuisine et Vins de France, les écrivains, Pierre Bréjoux aussi directeur des Appellations d’Origine Contrôlée, Michel Dovaz affublé de titres ronflants comme professeur de l’Académie des Vins et Président de l’Institut Œnologique de France (qui n’a jamais existé) ; et bien entendu, il y avait aussi des sommeliers et non des moindres , Christian Vanequé, qui officiait à la Tour d’Argent, le restaurant qui à l’époque (et encore aujourd’hui) possède une des plus belles caves du monde . Christian Vanequé était le seul, avec Steven Spurrier et Patricia Gallagher, à connaitre les vins californiens.
Il convient de souligner que, hormis Odette Khan, aucun autre représentant de la presse française, n’avait daigné répondre à l’invitation. Pour eux, celle-ci n’intéresserait personne et ne pouvait donner en aucun cas matière à un papier. Ce n’était qu’une affaire farfelue : imaginez un instant, comparer des californiens à des bordeaux, cela n’avait aucun sens. Seul, Gault et Millau, le magazine en vogue de l’époque, avait eu la condescendance d’envoyer le frère de Christian Millau qui assistait là à sa première dégustation.
En revanche, John Traber, du bureau du Times à Paris, accepta l’invitation mais sans grande conviction. Bien lui en pris, car il écrira sur ce sujet qui s’est révélé explosif un livre… plus de trente ans plus tard [i].
Côté vins, pour défendre les couleurs françaises, avaient été retenus en rouges, Mouton Rothschild, Haut Brion, Montrose 1970 (le meilleur de la décennie 70) et Leoville Las Cases 1971. Sous la bannière californienne, il n’y avait que des poids lourds mais personne n’en n’avait à cette époque : Stags Leap’s wines Cellar 1973 , Ridge Monte Bello 1971, Heitz Martha Vineyard 1970 , Clos du Val 1972, Feemark Abbey 1969, Mayacamas 1971 et quelques autres un peu moins connus.

Pour les blancs idem, avec entres autres, trois premier crus, un Beaune Clos des Mouches 1973, un Meursault Charmes 1973 de chez Roulot et un Puligny Montrachet les Pucelles 1972 du Domaine Leflaive et un Batard-Montrachet de domaine Ramonet-Prudhon 1973. Du coté californien, Chalone 1974, David Bruce 1973, Feemark Abbey 1972, Spring Mountain vineyards 1973, Veedercest Vineyards 1972. La sélection est bonne mais aucun des vins sélectionnés n’atteindra dans les années qui suivirent une notoriété internationale incontestée.
La dégustation se fait à l’aveugle sans ordre particulier, les blancs d’abord, comme il se doit, et ensuite les rouges. Chacun des membres du jury donne une note aux vins. Les notes sont transmises à Steven Spurrier qui en calcule la moyenne arithmétique. Un classement est établi sur la base de cette moyenne. Quand le résultat est annoncé, une réaction de surprise parcourt la salle : Château Montelena arrive en tète devant le Meursault Charmes 1973 de Roulot. Aux cinq premières places, trois californiens et deux français.
Voici le classement complet :

  1. Château Montelena 1973
  2. Meursault Charmes 1973
  3. Chalone 1974
  4. Spring Mountain 1973
  5. Beaune Clos des Mouches 1973
  6. Feemark Abbey 1972
  7. Batard Montrachet 1973
  8. Puligny Montrachet 1972
  9. Veedercrest 1972

David Bruce 1973 : A l’annonce des rouges, c’est la stupeur. C’est un autre californien qui arrive en tête, le Stags Leap Wine Cellar 1973. Le classement est quand même plus serré que pour les blancs car seulement 1.5 points sépare le premier du deuxième (Mouton Rothschild 1970.) La France classe cependant trois vins dans les cinq premiers.

Voici le classement complet

  1. Stag’s Leap Wine Cellars 1973
  2. Château Mouton Rothschild 1970
  3. Château Montrose 1970
  4. Château Haut Brion 1970
  5. Ridge Monte Bello 1971
  6. Château Léoville Las Cases 1971
  7. Heitz Martha’s Vineyard 1970
  8. Clos du Val 1972
  9. Mayacamas 1971

Feemark Abbey 1969 : Odette Kahn avait essayé d’identifier les californiens pour les noter particulièrement mal (entre 2 et 7 sur 20) sauf que, voilà, avec le Stags Leap Wine Cellar, (qu’elle classa premier) elle était tombée sur un os car le style de Stags Leap’s Wine Cellar est beaucoup plus proche du style français que du style californien ; de même pour le Mayacamas en blanc. Ce qui prouve encore une fois que la Californie à la capacité de produire des vins d’une grande finesse et que, si dans l’ensemble elle ne le fait pas, c’est que le consommateur (américain en particulier) actuel demande des vins plus gorgés de soleil. Les critiques américains (Wine Advocate et Wine Spectator) abondent largement dans ce sens en notant particulièrement sévèrement les vins élégants en particulier ceux de Stags Leap’s Wine Cellars et en notant avantageusement les vins denses et boisés au degré élevé d’alcool.
Odette Kahn, plus consciente que le reste du jury de la portée d’un tel événement, tentera de récupérer ses notes auprès de Steven Spurrier mais devant la fermeté de celui-ci, elle y renoncera. Elle l’accusera cependant, par la suite, de les avoir falsifiées.
John Traber rapporte dans son livre « le jugement de Paris » quelques anecdotes savoureuses sur les réactions qui suivirent cette dégustation.
Le baron Philippe de Rothschild téléphona à un jury pour lui dire d’un ton hautain : « Qu’est que vous voulez, à mes vins, il a fallu quarante ans pour être classés premier cru ». Sous-entendu, alors les californiens, ces jeunôts sans pedigree…
Le jeune sommelier de la Tour d’Argent recevra une volée de bois vert de la part de son patron, Claude Terrail, qui lui fit comprendre, sans ambigüité, que tout cela n’était pas bon pour le marché français du vin.
Selon Steven Spurrier, Lalou-Bize Leroy, cogérante de domaine de Romanée Conti a dit à son associé Aubert de Vilaine qu’il avait personnellement fait reculer de cent ans les progrès de leur superbe vignoble.
Quant au directeur des Appellations d’Origine Contrôlée, Pierre Bréjoux, on lui demanda tout simplement de démissionner.
Si John Traber n’en avait pas parlé dans un article paru dans le Times le 7 juin 1976 (article qui fut largement repris dans la presse américaine), cette dégustation serait restée anecdotique.
La dégustation de 1976 a été très intéressante car elle a pris par surprise tout le monde même les Californiens. Personne ne s’attendait à de tels résultats. La Californie n’en était qu’au balbutiement de son renouveau viticole après l’interruption due à la Prohibition. Avant cette sombre page de l’histoire américaine, déjà des experts français avaient jugé les vins californiens aussi bons voire meilleurs que les grands crus français.
La Californie a récupéré ce 24 mais 1976 la place qui lui revient sur la carte viticole du monde. A ce propos, Robert Mondavi écrira dans son autobiographie : « La dégustation de Paris fut, pour l’histoire du vin en Californie, un événement crucial, qui nous inscrivit de façon nette sur la carte des grandes régions productrices de vin dans le monde » [i] Taber M G. . Le jugement de Paris.2008. Edition Guttenbeg. ISBN : 979-2-35236-027-8
(2) The Herald Tribune a été rendu célèbre auprès des Français grâce au films de Jean-Luc Godard « A bout de souffle » dans le lequel l’actrice Jean Seberg le vend à la sauvette..

Zinfandel, plavac mali et primitivo : un seul et même cépage sous trois noms distincts ?

VIEUX CEP DE ZINFANDEL AU DOMAINE DE LYTONS’ SPRING VINFIÉ PAR RIDGE
Des similitudes dans les caractéristiques organoleptiques respectives du zinfandel de Californie, du plavac malic de Croatie et du primitivo du sud de l’Italie, incitèrent en effet à penser, au prime abord, que ces cépages n’en étaient en réalité qu’un. Pourtant rien n’était moins évident quand on ne s’en tenait pas qu’aux apparences.
Une quarantaine d’années d’un véritable et méticuleux travail de détective, d’analyses et de recherches menées par à la fois par des scientifiques, des ampélographes et des historiens, ont finalement permis d’élucider l’énigme des origines du zinfandel… Leurs conclusions confirment et… infirment, à la fois, ce qu’on l’on subodorait.
De plus, cette traque interminable, riche en rebondissements, a eu comme conséquence de conférer au zinfandel un statut quasi mythique dans cette quête des origines des principaux cépages utilisés aujourd’hui dans le monde qui mobilise et passionne l’oenologie contemporaine.
Un premier indice sur l’origine du zinfandel:
Une origine californienne de ce cépage était plus qu’improbable, pour la simple et bonne raison qu’il n’y avait pas de Vitis Vinifera sur le continent américain avant l’arrivée des Conquistadores espagnols au Mexique, en avril 1519. Ce sont eux qui l’ont introduite. Or, ce qui laissait perplexe, c’est que le zinfandel n’est pas un cépage espagnol, ni même européen.
Une découverte dans la littérature spécialisée du XIX° conduisit, dans un premier temps, vers une piste sur une éventuelle origine hongroise. Dans son ouvrage paru en 1820 « Zinfandel : a History of a Grape and its Wines [1], » Charles Sullivan[i] révélait que des ceps de ce plant avaient été importés du jardin botanique impérial de Schőnbrunn à Vienne à une pépinière de Long Island aux Etats Unis. Puis à partir de là, pendant plusieurs décennies, il fut cultivé par des amateurs dans le nord-est des Etats Unis et vinifié pour être consommé comme vin de table.
C’est un autre pépiniériste, Frédérick Macondray, qui décida de l’envoyer en Californie en 1852 sous le nom de zinfandel où, compte tenu de son adaptabilité au terroir et au climat chaud californien, il se développa rapidement pour satisfaire la demande assoiffée des chercheurs d’or de l’époque de leur Grande >Ruée vers l’Ouest.
Mais sa présence à l’institut botanique de Vienne, à l’époque de la splendeur de l’empire austro-hongrois qui incluait aussi la Croatie, ne constituait pas en soi la preuve d’une possible origine magyare.
Zinfandel et primitivo : un seul et même cépage ?
Une avancée majeure dans l’identification de son origine intervint qu’en 1967, quand le Dr Austin Goheen, un scientifique de l’Université œnologique californienne de Davis (UC-Davis) en visite dans la région italienne de Puglia, goûta par hasard un vin local appelé primitivo qui lui rappela fortement le zinfandel. Il demanda alors à voir les vignes et en conclut que le zindandel et le primitivo étaient très certainement le même cépage avec deux noms différents.
Pourtant cela ne résolvait en rien l’origine du premier. Aucune archive italienne ne mentionnait le primitivo comme un cépage autochtone italien et les recherches génétiques confirmèrent que le celui-ci ne faisait pas partie du patrimoine ampélographique de la péninsule. On échafauda alors toutes sortes de théories, toutes plus improbables les unes que les autres[ii].
ADN et le séquençage génétique :

Confirme: Zinfandel = primitivo
Mais infirment: Zinfanel = plavac mali
Classic vignoble de Primitivo

Classic vignoble de Primitivo
​Quelque temps plus tard, à l’instigation de Mike Grgith, un viticulteur de renom d’origine croate et travaillant en Californie, une nouvelle piste va s’ouvrir : la croate. Loin de faire l’unanimité, elle attira cependant l’attention de scientifiques et, en particulier, celle du Dr Carole Meridith, professeur de génétique de l’université de l’UC Davis. En mai 1998, elle fit un déplacement en Croatie sous l’égide de son l’université et de la Faculté agricole de l’Université de Zagreb pour sélectionner 150 échantillons de plavac mali provenant de 40 vignobles différents.

Mike Grgith from Grgitch Hills Cellar in Rutherford in California


Les analyses effectuées à l’université de UC Davis allaient confirmer que le plavac mali et le zinfandel étaient des cépages différents, mais qu’ils étaient néanmoins étroitement liés, soit comme parents soit comme descendants l’un de l’autre. En outre, il apparut qu’ils partageaient aussi des caractéristiques communes avec d’autres cépages croates comme la plavina, le grk, le crljenak viški et le vranac. La piste croate de l’origine du zinfandel venait donc d’être établie[iii].
L’identification de l’ancêtre croate du zinfandel : un vrai travail de détective:
Des recherches génétiques additionnelles mirent en évidence que le zinfandel était bien le parent du plavac mali. Mais où donc se trouvait le zindandel croate d’origine ? Où avait-il tout simplement disparu? On lança donc un appel à tous les propriétaires de vignobles pour qu’ils signalent aux universitaires s’il existait sur leurs parcelles de pieds de vignes pouvant être du zinfandel. Il fallu attendre l’automne 2001 pour qu’on découvre à Kaštela une très ancienne variété appelé crljenak katelanški (prononcer: tzurlyenik kashtelyansky). Puis un an plus tard, on découvrit près de la ville d’Omiš la même variété sous le nom de dribidrag. Seuls 25 pieds de ce cépage ont été répertoriés à ce jour[2]. Des recherche historiques furent alors entreprises et montrèrent que la variété pribidrag était présente en Damaltie depuis au moins 500 ans.
Il ne restait plus maintenant qu’à identifier le cépage avec lequel la variété dribidrag ou crljenak kastekanški (les deux noms retenus pour identifier le cépage originel du zinfandel) s’était croisées pour obtenir le plavac mali. Des analyses génétiques additionnelles confirmèrent que le dribidrag s’était croisé (sans doute naturellement) avec le dobričić (prononcer: dobritchitche) autre cépage authentiquement croate.
La boucle était enfin bouclée. On avait rendu à la Croatie ce qui n’avait jamais appartenu à la Californie…

[1] Zinfandel, : Un histoire du cépage et de ses vins.

[2] Aujourd’hui les viticulteurs de Dalmatie ont déjà replanté 30 hectares (200 000 pieds) de pribidrag. Il faudra attendre quelques années pour voir si la qualité de l’ancienne variété est supérieure au plavac mali. Source Plavac Mali. A croatian grape for great wines. ISBN 978-953-55938-0-5.

[i] Sullivan L Charles (2003) : a history of its grape and its wines University of California Press. Berkeley.

[ii] N. Mirośević and C.P. Meidith (2000). A review and research of literature related to the origin and identity of the cutivars Plavac mali, Zinfandel and Primitivo (Vitis Vinifera L.) Agriculturae Conspectus Scientificus 65:45-49.

[iii] Maletić E., Pejić J. Koroglan Kontić, J. Piljac, G.S. Dangi, A. Vokurka, T. Lacombe, N. Mirośević and C.P. Meridith (2004). Zinfandel, Dobričicć and Plavac mali: The Genetic Relationship among three cultivars of the Damatian Coast of Croatia. Am J Enol Vitic 55 (2):174-180.

La sélection massale consiste, dans un premier temps, à sélectionner les meilleurs pieds de vigne d’un vignoble ancien, habituellement de plus de cinquante ans dans le but de perpétuer la diversité qui s’est créée au fil du temps. La deuxième phase consiste à prélever des greffons et à les transplanter sur les vignobles selectionnés. Par opposition, la sélection clonale consiste à produire des ceps génétiquement identiques sur une période d’une vingtaine d’années pour ensuite les commercialiser. Un vignoble peut être planté avec un seul clone ou plusieurs clones.

Jean Michel Cazes, propriétaire des Châteaux Lynch Bage et les Ormes du Pez utilise la sélection massale pour le ré-encépagement de ses vignobles depuis 2005. Il argumente : ‘ les vieux vignobles sont le résultat d’observations, d’adaptations et d’optimisations de la vigne sur son terroir. La diversité génétique nous donne une meilleure garantie contre les maladies dans des situations adverses voire même catastrophiques qui seraient plus à même de menacer les vignobles de sélections clonales’. La sélection massale pourrait donc être perçue comme une sélection darwinienne où la nature ne serait plus détentrice des clés de l’évolution car elle pourrait bénéficier, à l’occasion, d’un petit coup de pouce d’interventions humaines ? Il faut quand même s’interroger sur le niveau de diversité génétique apportée par la sélection massale.. Quand il n’y a pas d’hybridation donc de brassage de DNA, les cépages ne se transforment que par mutations génétiques qui, certes peuvent conférer une meilleure résistance mais pas au point de protéger la vigne contre une catastrophe comme le phylloxera.
L’argument qualitatif qui conduit à utiliser la sélection massale plutôt que la sélection clonale semble plus recevable. Mais est-il convaincant ? Il faut rappeler que la sélection clonale n’existe que depuis un quart de siècle et qu’avant cette date, la propagation se faisait uniquement par sélection massale. Pourtant, le vignoble en général n’a jamais été aussi menacé aujourd’hui depuis le phylloxera.
Mark Bixler, du domaine Kistler Vineyards déclare: ‘ nous utilisons les clones californiens Wente pour nos chardonnays et dont on peut tracer l’origine dans la région de Livermore à une cinquantaine de kilomètres à l’est de San Francisco il y a une centaine d’années. Leur floraison est très mauvaise et il produit de tous petits grains de raisin à la limite du millerandage. Leur peau est épaisse et la couleur jaune paille. Il y a une concentration en minéraux importante. L’acidité est élevée et le fruit citronné est particulièrement gourmand’. Mais il ajoute : ‘ je suis sur qu’au départ il y a plus d’une centaine d’années, ce raisin n’était pas comme il est aujourd’hui. La sélection clonale ne doit pas se faire en opposition à la sélection massale. Vous pouvez tout à fait utiliser la sélection massale jusqu’à ce que vous arriviez à ce qui vous convient puis cloner le cépage comme cela s’est fait avec le Wente’. ‘
Pour les aficionados du clone, la sélection massale est dangereuse car l’ examen visuel pour identifier les meilleurs ceps ne dit rien de ce qui peut se passer à l’intérieur du pied. ‘Même si les vignes apparaissent saines’, dit Roumier ‘, on ne peut pas exclure la présence de virus qui se transmettront dans le nouveau vignoble. ‘Même si je n’ai pas, avec la sélection clonale, la même diversité qu’avec la sélection massale’ ajoute Roumier, ‘je plante en général pas moins de 8 clones et 10% du vignoble sont plantés avec des sélections massales’. Cela évite la standardisation que l’on reproche aux clones’. Malheureusement persifle-t-il: ‘ On choisit souvent des clones trop prolifiques, car ceux-ci existent mais si vous voulez faire de la viticulture de qualité alors il faut choisir des clones qui ne sont pas trop productifs’.

Et puis, il y a la viticulture. On ne conduit pas la culture des vignes d’un vignoble de sélection clonale de la même façon que l’on conduit celle d’un vieux vignoble. Les jeunes vignes seront de toute façon plus prolifiques, même si l’on a choisi des clones peu productifs. Il faut donc tout faire pour juguler la vigueur de la vigne. On sait aujourd’hui que c’est possible de faire des petits rendements avec des jeunes vignes en contrôlant la vigueur de celles-ci. Il faut tailler plus court, limiter l’apport d’engrais, faire de la concurrence à la vigne avec l’ enherbement des rangs et opter pour les tailles les moins productives.

Le débat, sélection massale versus sélection clonale, ne serait-il pas un faux débat ? Le vrai débat ne serait-il pas le contrôle des rendements facteur sine qua non de la qualité ?

LE DÉPLACEMENT DE LA VITICULTURE VERS LE NORD OU SUD SUIVANT LES HÉMISPHERES

​ Cette solution semble en théorie la plus simple, mais en pratique c’est beaucoup plus compliqué qu’il n’y paraît et pour plusieurs raisons. En Europe, plus peuplée que le Nouveau Monde, la vigne a majoritairement été plantée sur des terroirs pauvres (pour faire simple, la vigne ne réussit pas bien sur des sols trop fertiles car la vigueur de la plante est trop importante et le feuillage se développe au détriment de la grappe) alors que les autres cultures maraîchères et arboricoles se font sur des terroirs plus hétérogènes et plus fertiles. Dans les pays de population dense, il serait très difficile de trouver des terroirs adaptés à la culture de la vigne sans rompre un équilibré écologique qui sera déjà particulièrement fragilisé par le réchauffement climatique. Certes, les Champenois achètent des terres en Angleterre mais le Champagne, dans l’ensemble, est un vin de construction technologique qui jusqu’à une époque récente donnait la primauté à l’assemblage au chai sur le terroir. Les grands Champagnes de terroirs devront aussi s’adapter. Sincèrement, on voit mal la syrah venir s’installer en Bourgogne ou dans le Bordelais et le tempranillo dans la vallée du Rhône. Cette solution semble plus adaptée au nouveau monde qui possède des superficies plus grandes et de vastes terroirs encore inexploités dans le nord du Canada, dans la Williamette Valley ou dans d’autres états des États- Unis , en particulier l’État de Washington.


LE DÉPLACEMENT DE LA CULTURE DE LA VIGNE EN ALTITUDE
Elle semble plus réaliste car les coteaux sont des flancs de montagnes donc des terroirs pauvres bien adaptés à la culture de la vigne. D’autre part, les coteaux ont parfois été sous utilisés car il est plus facile de planter à flanc de coteaux peu pentus et dans les vallées. C’est une solution qu’il faut d’ores et déjà envisager dans des régions où la configuration du sol le permet. Cela n’est pas sans poser de problèmes dans une région comme la Bourgogne ou la classification se décompose essentiellement en 3 zones, les Côtes qui font les meilleurs vins, la plaine qui attire les cépages moins qualitatifs et les Hautes Côtes qui font des vins souples mais parfois aussi très complexes. Pourrait-on voir les vins des Hautes Côtes supplanter en qualité les vins des Côtes. On imagine la complexité règlementaire et les conflits qu’une telle situation pourrait engendrer. Mais attention, plus on est en altitude moins le soleil est filtré et plus son intensité lumineuse est forte et il faudra voir si l’amplitude des variations de température entre le jour et la nuit est suffisante pour apporter les avantages voulus.

LA DISPONIBILITÉ EN EAU ET L’IRRIGATION
Un réchauffement climatique s’accompagnera dans la plupart des régions par une diminution de la disponibilité en eau. Cela a été particulièrement bien illustré pendant la terrible sècheresse qui a frappé l’Australie pendant une décade (2000-2010) ou la distribution de l’eau du bassin de Murray Darling a dû être limitée ou encore ces quatre dernières années en Californie où la demande des agriculteurs et de la population ont créé un bon nombre de conflits et de restrictions. L’Australie se désengage de la viticulture industrielle particulièrement gourmande en eau car il n’y a plus de garantie que celle-ci soit disponible pour une culture qui peut apparaitre aux yeux de beaucoup comme secondaire. 83% des vignes sont irriguées dans le Nouveau Monde contre moins de 10% en Europe. Avec 10% d’irrigation sur 23 000 hectares le Languedoc est la région la plus irriguée de France. L’irrigation dans la vieille Europe est strictement règlementée car c’est un moyen d’accroitre les rendements artificiellement et en général elle est interdite. Mais les autorités commencent à lâcher du lest et elle a été autorisée en Toscane. En France, elle est interdite de la floraison à la véraison sauf par dérogation de l’INAO. S‘il est aujourd’hui entendu que la contrainte hydrique a des effets bénéfiques sur la culture de la vigne et la qualité du raisin, le stress hydrique, lui, est néfaste aussi bien au niveau de la qualité que des rendements. L’irrigation par goutte à goutte est maintenant le mode le plus adapté pour l’irrigation de la vigne et les méthodes pour la contrôler particulièrement sophistiquées et perfectionnés. Une partie de la racine peut-être irriguée pendant deux semaines et ensuite on inverse la partie irriguée (partial zone root drying). La dépense en eau est ainsi divisée par deux. L’irrigation renvoie automatiquement au problème de disponibilité. On pourrait s’interroger légitimement pourquoi tant de discussion et de conflit autour de l’eau puisque l’on sait aujourd’hui dessaler l’eau de mer. Mais c’est un processus très énergivore qui a un coût carbone important et dans la période de décarbonation dans laquelle nous entrons, le sujet est très sensible. Cependant, le réchauffement climatique et l’accroissement de la population vont réduire la disponibilité en eau. Les nappes phréatiques sont en baisse dans la plupart des régions déjà soumises au changement et les eaux qui proviennent de la fonte des glaciers d’altitude (Cordillère des Andes) sont aussi en réduction car les glaciers sont particulièrement sensibles au réchauffement climatique.



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C’est un sujet qui depuis une quarantaine d’années agite le monde viticole et le divise souvent en deux camps opposés. D’un côté, le clan Parker avec son alter ego Michel Roland qui ont su imposer, non sans talent, la nécessité de pousser la maturité du raisin le plus loin possible et dans l’autre camp un bon nombre de contempteurs franco-anglais, de haut niveau, qui voient dans cette course à la recherche de la maturité, l’élaboration de vin manquant de finesse, de raffinement et d’élégance. Il n’y a pas de méthode infaillible pour évaluer la maturité physiologique et phénolique du raisin. Les composés phénoliques, responsables de la couleur, de l’astringence et de l’amertume des vins rouges, ne sont pas mesurables de façon précise et le lien entre des qualités sensorielles et une composition spécifique du vin est difficile à établir. L’alcool a un rôle essentiel dans la perception sensorielle du vin. Il tempère la sensation d’acidité, rehausse la note sucrée et contribue au moelleux en bouche. Avec des degrés d’alcool plus bas, le vin est perçu plus acide et plus astringent. L’Europe a tendance à privilégier la buvabilité des vins alors que Robert Parker semble plutôt séduit par le moelleux et la sucrosité, plus proche du Nouveau Monde dont il est issu.
ll semblerait donc que la décision de la maturité optimale soit plus une affaire de goût qu’une affaire de science. La maturité doit donc aujourd’hui se concevoir plutôt en termes relatifs qu’en termes absolus avec des écarts qui peuvent aller jusqu’à 1.5 ° ou 2 ° dans un sans ou dans un autre suivant les goûts du viticulteur ou du consommateur, sans pour cela considérer que le raisin qui entre la composition du vin est en sous ou en sur maturité.
Le réchauffement climatique accroît, de toute façon, le risque d’un décalage entre la maturité physiologique et phénolique et la maturité en sucre mais cela devrait pouvoir se gérer avec la gestion de la canopée. En tout état de cause, un vin moins chargé en alcool apparaîtra toujours plus fringant car il aura une meilleure acidité et plus d’astringence.

LA GESTION DE LA CANOPÉE ET DE LA TAILLE

Ce sera sans doute la technique majeure qui permettra l’adaptation de la culture de la vigne de la plupart des vignobles du monde face au réchauffement climatique. Dans ce domaine, le Nouveau Monde est très en avance sur l’Europe et possède des spécialistes de très haut niveau, comme Richard Smart, qui travaille dans ce secteur depuis de nombreuses années. La taille en Europe a, dans l’ensemble, pour but d’exposer les raisins aux rayons du soleil. Dans le nouveau monde, la gestion de la canopée a plutôt tendance à les protéger d’une exposition trop forte au soleil ralentissant ainsi la vitesse de maturation du raisin et limitant ainsi le degré alcoolique du vin. J’ai pu constater lors d’une récente visite en Australie, un abaissement du taux d’alcool de 2° sur les grandes cuvées dans certains domaines et ceci au cours d’une sècheresse et d’une vague de chaleur sans précédent que nous nous avons déjà évoquées dans cet article. Des domaines qui s’étaient constitués leur réputation et leur succès sur les points Parker se détournent maintenant du système et reviennent vers des taux d’alcool plus maîtrisés avec des vins d’une plus grande buvabilité et moins fardés par le bois. Le processus de réchauffement climatique va accélérer cette tendance et déjà aujourd’hui on élabore des vins de grande classe à des taux d’alcool de 12.5°-13.5 °. Je ne sais pas si Bordeaux, encore sous l’influence Parker-Roland, s’est engagé dans ce sens mais Bordeaux a bénéficié du réchauffement climatique que l’on connaît actuellement. Avec des températures en augmentation de 3°ou 3,5 ° alors il faudra bien s’y intéresser de plus près.
Dans les pays chauds du Nouveau Monde, cette tendance à une gestion de la canopée protectrice va se renforcer mais en Europe et en France où la taille est règlementée et où le changement climatique va se faire graduellement avec des épisodes extrêmes, caniculaires ou pluvieuves plus fréquentes et imprévisibles, ce sera plus difficile. Comment ajuster la taille et la canopée quand on n’aucune visibilité sur les conditions climatiques qui vont prévaloir entre la floraison et la véraison. Un sacré casse-tête car la viticulture dans une grande partie de l’Europe est une viticulture de climat frais (cool climate viticulture) qui va se transformer graduellement en un viticulture de climat chaud.
Dans les régions chaudes, la taille en gobelet a prouvé sur le temps sa supériorité pour gérer au mieux les températures élevées et on la trouve à Châteauneuf du Pape, dans le midi de la France, en Espagne en Afrique du Sud et dans beaucoup de pays chauds. N’oublions-pas le savoir-faire et la sagesse de nos anciens.


L’HUMIDIFICATION ET L’ARRROSAGE DES VIGNOBLES
Il est tout à fait possible de faire de la viticulture dans des climats très chauds et la Hunter Valley en Australie en est l’exemple le plus extrême. Les températures dans cette région peuvent atteindre 45 ° mais la région est particulièrement pluvieuse car la vallée est orientée ouest-est et n’a donc aucune protection de flancs de vallée sur les assauts de l’océan Pacifique qui apportent des pluies abondantes qui permettent à la photosynthèse de continuer à s’effectuer et il n’y a pas d’arrêt de maturation du raisin pendant la période critique. Le sémillon de la Hunter Valley titre aux alentours de 11 ° alors que les syrahs ont un degré d’alcool de 13.5%. Il est bien sur difficile de reproduire artificiellement une telle situation mais des expériences sont en cours au Chili avec l’utilisation de brumisateurs géants pour rafraîchir les vignes pour que la photosynthèse continue à s ‘effectuer. L’efficacité d’un telle technique dans un contexte d’épisodes caniculaires reste encore à démontrer en particulier la réduction effective de température sur la vigne. La disponibilité en eau est aussi l’autre facteur limitatif.


UTILISATION MASSALE OU CLONALE DANS UN CONTEXTE DE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE?

Encore un sujet qui crée bien des divisions. La sélection clonale longtemps préférée commence conceptuellement à perdre du terrain sur la sélection massale. Avec la sélection massale, seuls les ceps les plus résistants et les mieux adaptés sont sélectionnés et propagés. Il ne faut pas cependant oublier que la vigne ne subit plus d’ hybridation depuis les lustres et que le phylloxera a considérablement appauvri le patrimoine génétique de la vigne. Les variations se font depuis de siècles par mutation somatique avec une modification d’un seul composant génétique. C’est suffisant pour transformer un cépage blanc en un cépage rouge ou produire un cépage diffèrent mais le manque de croisement génétique et d’hybridation, rend la plante beaucoup moins résistante. La sélection clonale, même si elle introduit un contrôle plus strict de la qualité du cep qui a moins de risques d’être porteur de maladies en particulier virales car le processus de mise sur le marché d’une sélection clonale peut prendre de 10-15 ans. Mais, seuls les clones qui possèdent toutes les caractéristiques voulues sont conservés, ce qui a pour conséquence de réduire encore plus le potentiel génétique des plantes. Aujourd’hui, les vignerons désireux de conserver le patrimoine génétique de leur domaine, sans pour autant prendre de risque sanitaire, demandent à certains pépiniéristes de compléter la sélection massale par des tests sanitaires. La sélection massale semble donc avoir des avantages non négligeables sur la sélection clonale, non seulement en termes génétiques mais aussi en termes d’adéquation aux conditions du vignoble. En période de réchauffement climatique cela pourrait s’avérer un facteur de résistance et d’adaptation bien utile.


DÉVELOPPEMENT ET UTILISATION DE PORTE-GREFFES PLUS ADAPTÉS
Les porte-greffes utilisés aujourd’hui sont les ancêtres américains de trois variétés, Vitis riparia, Vitis berlandieri et Vitis rupestris. Cette dernière variété provient du sud et de l’ouest des États-Unis et peut, grâce à ses racines étendues, atteindre même les strates les plus profondes du sol et utiliser ainsi des réserves d’eau situées en profondeur. Il est donc, avec ses dérivatifs, mieux adapté à la sècheresse. Certaines sélections sont aussi plus résistantes à la chaleur que d’autres. Cependant, la capacité d’adaptation des porte-greffes au stress hydrique est toujours limitée par l’épaisseur et la structure du sol.

QUELLE VITICULTURE DANS UN CONTEXTE DE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE?
Il y a suffisamment de preuves aujourd’hui qui indiquent que la chimie sur les terroirs viticoles appauvrit le terroir et qu’une culture en bio ou en biodynamie accroît la capacité des plantes à se défendre naturellement d’une manière plus efficace. La biodiversité est plus importante et l’impact carbone plus faible. Il ne faut pas oublier que le vignoble français occupe seulement 3,3% du territoire mais utilise 14,3% des pesticides de l’agriculture. L’enherbement devra devenir systématique pour éviter le réchauffement des sols par évapotranspiration. Le mulching ou le paillage humide sont aussi utilisés pour maintenir un maximum de fraicheur. Vendanger la nuit en période fraiche et stocker les raisins en chambres froides avant la fermentation sont déjà devenu des pratiques courantes dans beaucoup de vignobles. ​


L’UTILISATION DES FILETS ET DES VOILES DE MOUSSELINE
Utilisés à l’origine pour empêcher les oiseaux voraces de s’approprier une bonne part de la vendange sinon la totalité, ils ont aussi l’avantage de réduire l’intensité lumineuse sur la vigne et de réduire l’exposition des grappes au contact direct des rayons du soleil. Cette technique est particulièrement utilisée en Australie occidentale. Elle a un coût non négligeable.

Que nous enseigne l’histoire récente ?
En Europe, les dates de vendanges et les rendements annuels sont connus depuis près de mille ans. Elles nous permettent de conclure que certaines époques ont été plus favorables que d’autres à la culture de la vigne car les variations climatiques ne sont pas toutes dues à un réchauffement climatique anthropique et c’est dans cette brèche que se sont engouffrés les climato-septiques pour rejeter les thèses du GIEC. Il est intéressant de noter que les médias en général demande aux scientifiques du climat une bien plus grande rigueur que celle exigée aux climato-sceptiques.
On sait que des périodes chaudes et froides ont alterné. Durant l’Optimum Climatique Médiéval qui a duré quatre cents ans, de 900 à 1300, les températures étaient, en moyenne, supérieures de 1° C et, à la fin du Moyen Age, les vendanges se faisaient en début septembre et la température pendant le maturation des raisins était supérieure d’environ 1,7° C à celle du XIX ième siècle. La vigne était cultivée dans le sud de l’ Angleterre et jusqu’aux zones côtières de la mer Baltique. Quand on observe le renouveau de la viticulture israélienne et à un degré moindre celle du Liban, on comprend que la réimplantation de la culture de la vigne dans des zones autrefois occupées par cette culture peut se faire très vite et la viticulture et vin peuvent retrouver des sommets en quarante ans.
Cette période a été suivie du Petit Âge Glaciaire qui, de 1830 à 1850 a mis fin à la culture de la vigne dans les régions les plus septentrionales de l’ Europe. De plus, la reconstruction des températures de 1379 à 2003 en Bourgogne, à partir des dates de vendanges, a montré que les températures élevées des années 1990 avaient été rencontrées à d’autres époques. Par contre, les températures de 2003 constituent bien un phénomène climatique exceptionnel en Europe.
Les variations de températures ne sont pas uniformes.
Un réchauffement climatique de 0,8°C au niveau mondial n’est pas reparti uniformément sur la planète. On sait maintenant avec certitude que la culture de la vigne est limitée à des zones de température bien précises et dont les écarts entre le minimum et le maximum ne sont que de 2 à 3 degrés. Des observations de températures dans les régions de Barolo, Bourgogne, dans le Beaujolais et de la Vallée du Rhône entre 1950 et 1999 indiquent que les augmentations sont comprises entre 0,7° C et 1,8° C avec une moyenne de 1,3° C soit 0,5% au dessus de la moyenne mondiale. Ces augmentations de température ont, bien sûr, fait augmenter le degré alcoolique des vins. Le potentiel alcoolique du riesling alsacien a augmenté de 2,5° C ces 30 dernières années [i] et il existe une corrélation statistiquement significative (une vraie corrélation) avec des épisodes plus chauds et une maturité phénolique plus précoce. On observe le même phénomène dans la Napa où les degrés d’alcool sont passés de 12,5 % à 14,8% de 1971 à 2001 [ii]. Les acidités ont chuté et Les pHs ont augmenté. Il faut être prudent quand on interprète les augmentations des degrés alcooliques dans la Napa car elles ne sont pas dues entièrement au réchauffement climatique, une certaine proportion est attribuable aux critiques américains qui ont poussé l’industrie viticole californienne vers des vins plus massifs et plus chargés en alcool et en fruits[iii]. Des recherches additionnelles ont montré que le rechaussement climatique contribuait à hauteur de 50% dans l’augmentation des degrés d’alcool [iv].
L’Europe, la grande gagnante du réchauffement climatique et le Nouveau Monde à la peine.
A ce stade, le réchauffement semble avoir été plus bénéfique à la vieille Europe qu’au Nouveau Monde . La climatologie européenne est marginale pour la viticulture mais la vigne donne, en général, ses meilleurs résultats aux limites marginales de sa culture. Ces cinquante dernières années ont apporté une meilleure maturité physiologique mais aussi parfois une surmaturité comme en 1997, 2000 et 2007 pour le Barolo et le Barbaresco et pour le nebbiolo en général. Même si les critiques américains ont, dans l’ensemble, encensé ces millésimes, ils constituent néanmoins une rupture avec le classicisme du nebbiolo dont les millésimes 1996 ou 1999 sont un bon exemple. Par contre, le nombre de bons et grands millésimes par décade est devenu exceptionnel ces trente dernières années.
Une climatologie plus clémente a réduit, dans de nombreuses régions, les problèmes causées lors de la floraison par des conditions adverses comme le gel, le vent et la pluie. Dans le pays du Nouveau Monde, sensiblement plus chauds dans l’ensemble de ceux de la vieille Europe, les effets négatifs du réchauffement sont déjà plus visibles. L’ Australie a connu une sécheresse de plus de dix ans suivie par des pluies torrentielles en 2011. On retrouve dans certaines régions des paysages ‘lunaires’ où des centaines d’arbres morts baignent dans des lacs artificiels créés les inondations.
Mais l’ Europe a peut-être mangé son pain blanc car il est maintenant certain que le changement climatique ne se limitera pas à 2 degrés. on pourrait bien voir des augmentations de températures bien supérieures dans certaines régions viticoles traditionnelles. De quoi chambouler la donne viticole d’une manière radicale.

[i] Duchenne, E Schneider, C (2005) Grapewine and climatic change : a glance at the situation in Alsace. Agronon. Sustain Dev. 24 :93-99.
[ii] Vierra G (2004). Pretenders at the Table. Are table wines no longer food friendly? Wine Business Monthly. July 2004: 11(7)
[iii] Jones GV. (2005). Climatic changes in the Western United States grape growing regions. Acta Horticulturae (ISHS) 689;41-60.
[iv] Jones G.V.. Goodrich, G.B. (2007). Influence of climatic variability on the US West Coast wine regions and wine quality in the Napa Valley. CLIMATE RESEARCH. Vol. 35: 241–254, 2008.

En 2013, un article publié dans l’une des revues les plus prestigieuses ‘Proceeding of the National Academy of Sciences’ (I) faisait état d’un scenario catastrophe pour l’évolution de la vigne et du vin dans le contexte du réchauffement climatique.
Les chercheurs ont utilisé 17 programmes de modélisation conçus par les spécialistes du climat pour évaluer l’impact sur les principales régions viticoles du monde. Ils ont travaillé sur deux des quatre scenarii proposés par le GIEC . Le scénario intermédiaire (aussi appelé RCP 4.5) qui évalue la concentration des principaux gaz à effet de serre (exprimée en concentration de CO2) à 530 ppm en 2050) et le scénario le plus pessimiste (RCP 8.5) qui indique que le taux de CO2 seraient de 630 ppm en 2050. Aujourd’hui, nous atteignons la barrière des 400 ppm et nous sommes au-delà du scénario le plus pessimiste. Ce sont les plus importantes concentrations en C02 depuis le Pliocène il y a 3.5-5 millions d’années.
Ils en ont conclu que les superficies adaptées à la culture de la vigne seraient réduites de 19 à 62% avec le scénario intermédiaire et de 25% à 73% avec le scénario le plus pessimiste car la vigne a une capacité de croissance optimale dans une fenêtre de températures relativement étroite come l’indique le graphique suivant (2 à 2.5 o C).


Au moment où la COP21 aborde la dernière ligne droite des négociations sur les mesures à prendre pour limiter les émissions de CO2 et que la plupart des propositions de limitation ont été annoncées par plus de 90% des pays, on se trouverait sur la trajectoire d’une augmentation de 3,5 ° C si tous les pays respectent leurs engagements, ce qui est loin d’être une certitude car il ne semble pas que l’accord qui se dessine sera soumis sous forme d’un traité.
Mais le rapport des scientifiques comporte un biais important, qu’eux-mêmes reconnaissent, puisqu’il ne prend pas en compte les stratégies d’adaptations qui pourraient être mises ne œuvre pour limiter l’impact du réchauffement climatique, à part peut-être le déplacement de la viticulture vers le nord dans l’hémisphère nord et vers le sud l’hémisphère sud.
Avant d’aborder les possibilités d’adaptations qui s’offrent aux viticulteurs pour limiter l’impact de ce réchauffement climatique, on peut faire d’ores et déjà quelques observations dont les conséquences semblent inévitables.

  1. La proximité des vignobles des océans limitera l’impact du réchauffement climatique car ils agissent comme un régulateur thermique pour limiter les températures à la hausse comme à la baisse. Les variations thermiques des océans sont beaucoup plus lentes que celles de la terre.
  2. En conséquence, la viticulture des îles sera moins affectée. C’est pourquoi les conséquences du réchauffement climatique seront les plus atténuées dans un pays comme la Nouvelle-Zélande dont les vignobles ne se trouvent jamais à plus de 100 kilomètres de la mer.
  3. Les vignobles d’altitude seront moins affectés que les vignobles de plaine car l’altitude est aussi un important régulateur thermique et permet des baisses de températures nocturnes qui facilitent la photosynthèse en cas de conditions caniculaires.
  4. Les vignobles situés sur les versants nord dans l’hémisphère sud et ceux situés sur les versants sud dans l’hémisphère sud auront une meilleure capacité d’adaptation car la vigne sera moins exposée au soleil.
  5. La viticulture sur coteaux sera moins sujette aux conséquences du réchauffement climatique et des facteurs climatiques extrêmes (pluies diluviennes, inondations).
  6. Le Nouveau Monde, moins règlementé, aura une capacité d’ adaptation plus grande et plus rapide que l’ancien Monde ou la règlementation atteint parfois des niveaux trop contraignants voire ubuesques.
  7. Les vieilles vignes non irriguées qui s’autocontrôlent auront sans doute une meilleure capacité d’adaptation, quitte à voir leurs rendements encore diminués.
  8. Les vignobles qui se situent sur les grands terroirs et qui produisent les plus grands vins seront moins susceptibles au réchauffement climatique que les vignobles situés sur des terroirs moins nobles. On connaît la capacité des grands vignobles à sublimer les conditions climatiques adverses.
  9. Les vignobles de plaine seront plus menacés par les conditions climatiques adverses car le réchauffement climatique ce n’est pas uniquement un accroissement de la température mais se traduit aussi par des épisodes de conditions extrêmes comme des pluies diluviennes qui peuvent détruire en quelques heures tout un vignoble.

10.Les régions qui produisent des assemblages seront moins touchées que les régions qui produisent des monocépages. On peut plus facilement jouer avec la composition des assemblages. On peut envisager une concentration plus importante de petit verdot dans l’assemblage voire même la réintroduction à Bordeaux du cépages carménère au dépend du merlot, un des cépages les plus sensibles à l’augmentation de température.

  1. Les pays les moins peuplés par rapport à la superficie de terre arable possèderont des plus grandes capacités d’adaptations car ils possèdent, en théorie, plus de possibilités de relocaliser leurs vignobles.

12.La surface viticole est appelée à se réduire fortement voire même à disparaître sur des terroirs inadaptés qui ont servi largement à satisfaire une demande conjoncturelle dans un contexte d’un fort accroissement de la demande et de la consommation (sud de la France, Espagne, sud de l’Italie).

  1. Les pays qui ont une grande diversité variétale possèderont un plus grand potentiel d’adaptation que ceux où la diversité est faible ou a été particulièrement réduite depuis la destruction de la vigne par le phylloxera.

14.De nouveaux pays producteurs (ou anciennement producteurs) vont émerger (Belgique, Angleterre, Danemark, Suède, Pologne, Tasmanie etc).

15.Les domaines qui possèdent des superficies de vignobles très importantes devront faire preuve d’une plus grande créativité et d’une plus grande adaptabilité pour relocaliser les vignobles sur des terroirs plus appropriés.

Comment Bremmer est-il arrivé à une telle conclusion qui prend à contre pied l’état actuel des connaissances scientifiques sur ce sujet ? Par un tour de passe-passe de biologie moléculaire et un sérieux travail de fin limier digne d’un Hercule Poirot au sommet de son art. Lui et son équipe ont isolé les gènes responsables de la production de l’enzyme ADH4 ( l’enzyme principalement responsable de la dégradation de l’alcool dans le corps humain) chez 27 des primates les plus communs et vivants aujourd’hui. A partir de ces données et en étudiant attentivement l’arbre généalogique des primates depuis 60 millions d’années (soit juste après la disparition de dinosaures), ils ont pu déduire les caractéristiques de l’ enzyme ADH4 à travers les âges et ses modifications au fil du temps. Bremmer a ensuite synthétisé ces enzymes en laboratoire et les a testé pour en déduire leurs effets sur le métabolisme de l’alcool. C’est en tout point similaire à la reconstitution d’une scène de crime pour s’approcher au plus près de la vérité des faits et corroborer les observations et les analyses forensiques. Les effets de ces différentes molécules ainsi synthétisées sur le métabolisme de l’alcool se sont avérés ‘stupéfiants’. Celles qui correspondaient aux primates les plus anciens ont été sans grand effet sur le métabolisme de l’alcool. Mais, au moment où l’arbre généalogique des primates se divise pour former la branche qui allait produire les gorilles, les chimpanzés et éventuellement les humains, soit il y a environ 10 millions d’années, l’enzyme ADH4 synthétisée en laboratoire se montre particulièrement apte à métaboliser l’alcool. Elle est, en fait, 50 fois plus puissante que les enzymes que l’on trouve chez les primates les plus anciens. Et Bremmer d’ajouter ‘ cette enzyme a une capacité métabolique qui approche celles des enzymes d’aujourd’hui’.


On sait que les gorilles et les chimpanzés passent une partie de leur temps au sol, il est donc plus que probable que les ancêtres de ces primates faisaient de même il y a 10 millions d’années quand leur capacité à métaboliser l’alcool semble avoir évolué positivement d’une manière drastique. Bremmer attribue cette modification de la capacité métabolique de nos ancêtres à la consommation de fruits mȗrs tombés des arbres et dont la peau endommagée avait permis un contact avec les levures naturelles enclenchant ainsi le processus de fermentation. Ceci explique aussi pourquoi l’ ancêtre commun à la lignée des (gorilles, chimpanzés et éventuellement humains) et des Ourang Outans vivants il 16-21 millions d’ années était incapable de métaboliser l’alcool, l’Orang Outan ne se déplaçant jamais au sol.
Les anthropologues, peu enclin à s’engager sans preuves, saluent l’ingéniosité du travail de Bremmer même s’ils préfèrent attendre l’étude de fossiles pour confirmer ses découvertes. .Mais, les fossiles, remontant à 10-60 millions d’années, ne courent pas les rues et ne se trouvent pas nécessairement sous les sabots d’un cheval.

Contrairement aux autres substances, comme le tabac, le corps humain a les capacités physiologico-chimiques pour traiter l’alcool. Il est donc moins exposé à ses dangers et peut métaboliser sans problème une consommation modérée de boissons alcooliques. Par contre, la consommation régulière d’alcool engendre l’activation du (des) gêne (s) de l’alcool chez l’être humain cette activation se transmet d’une génération à l’autre. Ce nouveau concept d’enclenchement génétique par l’environnement est récent et est appelé l’ épigénétique. C’est en tout point comparable aux fusibles dans une installation électrique. Enclencher un fusible ne vous donne pas nécessairement de la lumière. Il faut appuyer sur l’interrupteur. Donc même si vos antécédents ou votre environnement vous prédisposent à la consommation d’alcool (votre fusible est enclenché), vous n’allez pas nécessairement être un consommateur mais vous aurez une propension, une tendance naturelle à la consommation. Si vous ne devenez pas consommateur alors le gène peut se dé-enclencher (comme fusible) au fil du temps car le processus est réversible, aucun gène n’ayant été modifié dans la séquence de nucléotides qui le composent.
De quoi rassurer les addictologues ? Pas vraiment mais de quoi leur garantir une activité pérenne, certainement !!

LA MISERICORDE DU HAUT DES DEUX SINGES
Longue et sinueuse est la descente. Elle requiert une prudence tous instants. Elle représente un dénivelé de 2 500 m. Le moindre écart, c’est la chute vertigineuse sans parachute. Aucun autre véhicule montant ou descendant ne fut entrevu. Elle se déroula donc sans la moindre encombre ce qui permit d’apprécier un décor à couper le souffle, d’en avoir plein les mirettes. C’est en pareille circonstance qu’on découvre que les mots sont impuissants à traduire ce que l’œil voit. Arrivée au creux de la vallée dont l’altitude est à peine inférieure au plus haut col pyrénéen (le Port d’Envalira – 2409 m), la route longe par moment la rive d’une rivière, le rio Calchaquie. Il court au creux d’un très large lit pierreux. Il est à la source de la fertilité des terres encadrées de massifs à l’aspect méditerranéen grâce à un système d’irrigation qu’il alimente. Il a donné son nom à la vallée étroite et longue de 80 km.

Le río Calchaquie
L’après-midi était déjà bien avancé. Le soleil commençait à jouer à cache-cache derrière les pics dont les ombres s’étiraient, quand soudain à la sortie d’un virage juste au bout d’un tronçon rectiligne surgit Cachi la Blanche, s’étalant sur une légère pente. Son nom signifie en quechua sel. La région compte plusieurs salines, dont une appelée la Saline de l’homme mort, située à près de 5 000m d’altitude. C’est un gros bourg de 2 500 âmes, situé à 2280 m d’altitude, soit bien plus haut que des sommets alpins. Toutes les maisons, la plupart de plain-pied, sont d’une blancheur immaculée qui rivalise à la fois avec celle du sel des salines restées vierges et de la neige éternelle du pic Nevado (1) de Cachi (5 896m) qui le surplombe sans donner l’impression de le dominer. Il a été fondé en 1683 par un conquistador d’origine basque répondant au nom d’Arramburu.

Un calme apaisant y règne bien qu’il se soit mué en lieu d’attraction touristique depuis quelques années. Mais il est resté encore authentique, comme si le temps s’était figé. La plupart des visiteurs arrivent à la mi-journée depuis Salta et s’en retournent à bord de leur bus dès que le soleil décline après avoir fait un tour dans les ruelles désertées par les habitants. Ceux-ci vivent de l’agriculture et passent donc leur journée au champ et non à faire le guide. Cachi est encore pour le moment épargné par les boutiques de souvenirs et colifichets qui polluent tout décor dès qu’elles s’y installent. Situé juste à mi-chemin entre Salta et Cafayate, les deux Singes décident d’y faire escale pour la nuit et de s’offrir un copieux et gastronomique repas pour se remettre d’une journée harassante, certes, mais qui ne peut que rester gravée dans leurs neurones. Ils jettent leur dévolu sur le meilleur hôtel, La Merced el Alto ce qui se traduit en français La Miséricorde du Haut. Cette appellation suggère l’hospice pour indigents.

Il se trouve à 2km du centre, un peu plus haut, il n’a rien de l’hospice même s’il a l’allure d’un ancien monastère restauré. Selon les critères européens, c’est un hôtel à coup sûr de quatre étoiles, voire de cinq. Il offre un spa avec massage relaxant et vue sur la montagne, une belle piscine extérieure, dispose d’un restaurant et d’une belle cave qui ne manqua pas d’attirer la curiosité d’un des Singes, de celui en charge de la sélection pour Valade et Transandine. Les tarifs, s’ils ne sont pas prohibitifs, ne sont pas non plus ceux réservés aux indigents errants. Ils varient entre 107 dollars pour une chambre individuelle à 213 pour une triple. A l’époque, sa gestion était assurée par un jeune couple de…. Bretons de la région nantaise. S’il a l’allure d’un monastère tout blanc sur fond de montagne et ciel azur, avec son clocher en coupole, en réalité, ce n’est qu’apparence, mais une apparence plus que vraie que nature. C’est une authentique contrefaçon. Il n’a été construit il y a qu’une vingtaine années, sur la base d’un plan de l’époque coloniale, par un groupe hôtelier argentin convaincu de l’avenir touristique de cette région bien qu’enclavée dans le nord-ouest du pays. Elle offre un climat et un panorama exceptionnels. C’est encore un bout du monde. C’est donc le moment d’y aller. Après une tête dans la piscine à eau tempérée, un bon spa suivi d’un massage accompagné d’une douce somnolence réparatrice, pour l’un des Singes, et d’une visite quasi inquisitoriale de la cave pour l’autre, tous les deux se retrouvèrent au restaurant. Hormis un couple de retraités américains qui terminait son repas sans se dire un mot et n’ayant bu que de l’eau, ils étaient les seuls. D’emblée, avant de consulter la carte, commande de cinq bouteilles de vin de Cafayate fut passée au grand étonnement du rare personnel, et furent débouchées sur le champ dont un torrontes, un cépage blanc emblématique de la région, en apéritif – Ils ne vont pas s’envoyer cinq boutanches derrière le gosier, ces deux vieux, dût se dire le personnel, ajoutant, « on a en vu des pas mal mais des comme ça jamais : cinq boutanches à deux… » Eh bien, à vrai dire…. Si vous voulez connaître la suite, assurément cocasse (oui, oui, cocasse, on vous l’assure), de cette soirée à La Miséricorde du haut, il vous faudra attendre la semaine prochaine et lire l’épisode 2, intituté :
​« Soirée épique à Cafayate ou le caviste qui ne buvait pas de vin. A SUIVRE…..

LA MYTHIQUE ROUTE 40
Comme déjà mentionné, de Salta deux itinéraires, et pas plus, mènent à Cafayate. Le premier par la nationale 68 se parcourt en deux heures à l’aise, en conduisant en père peinard, le second par la mythique 40 en deux jours alors que le détour ne fait doubler la distance à parcourir en rallongeant seulement de 150 km. Mais le parcours en vaut la peine ; il gratifie ceux qui osent s’y aventurer de pas mal d’émotions en tout genre, allant du frison qui parcourt l’échine quand on prend conscience qu’on longe un ravin sans fond et qu’il y a tout juste la place pour croiser un autre véhicule à l’ébahissement devant la beauté cosmique des panoramas qu’offrent les Andes. Pour les deux Singes, le choix du second itinéraire, ça allait être leur Dakar. Ils allaient se la jouer à la Stéphane Peterhansel (second au général voiture en 2014), mais avec modération, pas comme quand ils s’adonnent à quelques libations viniques qui sont aussi une forme de sport, mais d’un sport churchillien. Le lendemain, quand la matinée tirait à sa fin car ils ne sont pas du genre à s’arracher du pieu à potron-minet même si la veille au soir, à l’instar de grands champions, ils ne s’étaient pas livrés, contrairement à leur habitude, à des excès de levers de coude, ils prirent place à bord de la petite japonaise d’un rouge flamboyant facile à repérer au bas d’un abîme, ce qui facilite la tâche des sauveteurs. Le feulement de son moteur indiquait qu’il s’agissait d’une petite vigoureuse. Ca rassure. Et comme trousse de secours, ils avaient embarqué, bien que ce fusse une hérésie pour eux mais on n’a rien sans sacrifice, deux bouteilles d’eau. L’altitude dessèche les gosiers, leur avait-on dit. Adossé à une falaise d’au moins 200 m, à 1 187m d’altitude, Salta est une ville de 500 000 habitants dont le style architectural du temps de la colonie espagnole a été jalousement préservé malgré son expansion. Elle se situe au milieu d’une vallée agricole riche qui exporte en Asie, en Amérique du nord et en Europe. C’est aussi le foyer de la culture gaucha. Le gaucho est le pendant du cow boy mais en plus classe, tout ce qui lui sert à monter est en argent, étriers, éperons, ornement de la selle, etc… Son climat méditerranéen a attiré quelques retraités européens qui se la coulent douce.

Salta: la place centrale


Pendant 30 km cap au sud, après la sortie de la ville, on traverse une campagne prospère, luxuriante. Puis arrivé à un bourg qui s’appelle El Caril, on tourne à droite et on entame la montée d’un col de 15 km. D’un paysage dominé par le couleur ocre, on passe rapidement à un vert dense. On se croirait soudain transporté dans les Alpes. Un océan minéral de sommets. Plus la petite tire écarlate japonaise gravit la pente avec détermination, plus les arbres deviennent rares et finissent par céder la place à une végétation qui se raréfie. Quand on arrive au sommet à environ 2 000 m, on débouche sur un vaste plateau couvert de cactus géants, deux à trois fois plus grands qu’un homme de bonne taille, alternant avec des caroubiers. De-ci delà, on y aperçoit une rare vigogne qui paisse une herbe rare. Le ciel est d’un azur dense sans la présence du moindre soupçon de nuage. Au loin se dessine la silhouette tremblotante de pics aux neiges éternelles comme la Cumbre del Libertador (le Sommet du libérateur) qui culmine à 6 38O m. Au terme d’une partie sinueuse, la route, la nationale 51, asphaltée, en bon état, file pendant 60 bons kilomètres tout droit devant elle vers le Chili. Durant tout le trajet, on n’y croisera que trois camions boliviens en provenance du port d’Antofagasta, sans doute chargés pour moitié de produits de contrebande sans laquelle l’économie de leur pays, le plus pauvre du sous-continent américain, serait asphyxiée. Donc les douanes ferment les yeux en échange de quelques faveurs sonnantes. Au bout de cette route que la petite japonaise a avalée avec allégresse, on arrive au carrefour avec la 40, un peu avant la bourgade dénommée San Antonio de la Cobres qui se résume à quelques habitations en bordure de la route. On tourne à gauche toute, à un lieu-dit Munano, et on entame une descente qui nous ramène à une altitude inférieure de 500 m.



Le paysage change du tout au tout. La route n’est plus asphaltée. Si on ne veut pas être secoué comme des glaçons dans un shaker, il faut maintenir une bonne allure aux alentours de 70/80 kms. Pendant des kilomètres, on longe côté ouest de la vallée une haute falaise rose. Les cours des rares exploitations agricoles sont d’un rouge vif. Ce sont des gros piments qui sèchent au soleil. Ils sont destinés à la confection du Tabasco. Comme la pomme-de-terre, la tomate, le piment est originaire d’Amérique du sud. C’est l’unique culture, destinée principalement à l’exportation, de cette région. A la sortie d’un hameau sans âme qui vive, ne comptant que cinq habitations en torchis, les deux Singes, décidés à se prendre pour des anthropologues à la Claude Levy Strauss, embarquent une vieille amérindienne qui faisait du stop. Elle est coiffée d’un chapeau traditionnel blanc de style haut-de-forme, vêtue d’une pollera (sept jupes enfilées les unes sur les autres). La conservation tourne court. Elle ne baragouine que quelques phrases rudimentaires en espagnol. Elle parle quechua, la langue de l’ancien empire de l’Inca (empereur) toujours très pratiquée avec l’aymara, autre langue autochtone, dans le monde andin. Au bout de 15 kms, elle demande qu’on la dépose et elle s’en va, baluchon sur le dos, par un sentier qui doit la conduire chez elle.

Le moment crucial arrive : la montée du col d’Abra del Acay (4895 m), le point culminant de la route 40. Troisième, seconde, première, seconde, première, seconde, la petite, mais virile, japonaise s’enfile la raide montée avec obstination. Elle souffre mais ne capitule pas. Les deux Singes ont le souffle court. L’oxygène se raréfie. Plus la route monte, plus la température baisse. Le décor devient lunaire. Hormis les deux Singes, il n’y pas le moindre indice d’une présence humaine.



Col d’Abra del Acay
Une fois au sommet, c’est l’extase. On découvre un océan minéral de sommets. Ils font songer à des vagues pétrifiées d’une mer agitée à forte. Un pic aux neiges éternelles, le Nevado de Acay (5 716 m) coiffe ce décor qui incite à la métaphysique et rend mutique. « Tu t’imagines, on est 85 m plus haut que le Mont Blanc (4 810m), fait remarquer un des Singes à l’autre. Jamais je n’aurais imaginé qu’on pouvait faire de l’alpinisme avec une voiture. – Pas alpinisme mais andinisme, lui répliqua l’autre, le tatillon.