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LE VIN L’ALCOOL ET LA SANTÉ… EXISTE-T-IL UNE CONSOMMATION SANS DANGER (DE RISQUE MINIMUM) ?


Claude Gilois, ex Senior Chief Scientific officer, Haematology dept, The National Hospital for Nervous Diseases[1]

L’épidémiologie fait un usage sans modération des statistiques. Les citations suivantes aident à mettre cette discipline dans son contexte.

Préambule

La consommation d’alcool et ses effets sur la santé est le sujet le plus étudié de la littérature scientifique. C’est aussi le sujet sur lequel la controverse est la plus aigüe, car aucune étude randomisée en double aveugle, (les sujets de l’étude ainsi que les sujets du groupe de contrôle ne sont connus, ni des sujets de l’étude eux-mêmes ni des observateurs), n’a jamais été autorisée par aucun gouvernement. On ne peut pas prendre le risque de mettre la santé des sujets en danger lors de telles études.

LES FONDEMENTS SCIENTIFIQUES DES LIMITES DE LA CONSOMMATION D’ALCOOL

En début des années 1990, l’Organisation Mondiale de la Santé fixait des limites pour une consommation d’alcool sans danger pour la santé à 21 unités [2] par semaine pour les hommes et à 14 unités pour les femmes.

Ces recommandations se basaient sur la plus importante étude jamais réalisée sur la consommation d’alcool par l’Institut Américain Contre le Cancer qui a suivi 276,000 hommes pendant 12 ans[i].  Les résultats de cette étude ont été résumés graphiquement par le professeur Serge Renaud[3] [ii]   

Les résultats indiquaient que la mortalité de buveurs d’alcool, toutes causes confondues, était inférieure ou égale à celle des non buveurs si leur consommation ne dépassait pas 36 grammes (3,6 unités) d’alcool par jour soit environ une demi-bouteille. Quand on exprime les résultats graphiquement, on obtient une courbe en J.  

On retrouve assez souvent ces courbes en J dans la littérature scientifique [iii]. Les courbes en J indiquent que les effets observés dépendent de la dose. Elles indiquent aussi que l’effet négatif sur la santé ne commence pas avec immédiatement et qu’il a y même un seuil au-dessus duquel une consommation pourrait être bénéfique.

Cette particularité est résumée graphiquement ci-dessous:

Cette étude allait être corroborée par une autre publiée en 1995 [iv]  qui concluait que la mortalité chez les buveurs modérés était plus basse que chez ceux qui ne buvaient pas. 

L’ÉVOLUTION RÉCENTE DES NORMES DE CONSOMMATION D’ALCOOL

 

Pourtant, ce consensus sur la nocivité relative de l’alcool, plutôt bien accepté pendant deux décennies, allait être remis en cause par deux études.  L’une publiée en 2016[v] et l’autre en 2022[vi]. La première étude concluait :   » Les résultats soulignent la nécessité de revoir les politiques de contrôle de l’alcool et les programmes de santé, et d’envisager des recommandations en faveur de l’abstention « . Devant le tollé de l’industrie vitivinicole et une réprobation des certains scientifiques, la publication fut   ensuite corrigée « nos résultats montrent que le niveau de consommation d’alcool le plus sûr est de ne pas consommer d’alcool ». Ce niveau était en conflit avec la plupart des mesures de santé qui prônent les bienfaits pour la santé associés à la consommation d’alcool jusqu’à deux unités par jour. En 2022, un autre article, également publié dans The Lancet, tempérait le premier article en indiquant que, cette consommation qualifiée de modérée, pouvait avoir un certain bénéfice pour certaines populations, mais que d’autres étaient à risque.

NB : Il est intéressant de noter que ces deux publications, émanant essentiellement du même groupe de scientifiques, concluaient à des résultats différents, ce qui prouve, si besoin était, que l’interprétation statistique des résultats d’études non randomisées en double aveugle peuvent conduire à des interprétations subjectives.

Pourtant, dans les deux études, on retrouve cette relation entre la dose consommée et la nocivité.  Dans la première étude pour certaines maladies (la cardiopathie ischémique, et le diabète particulier) etplus généralement dans la deuxième étude qui est résumée graphiquement ci-dessous :

On retrouve bien le courbe en forme de J que l’étude de 2016 ne mentionnait pas.

Seul, le seuil de l’effet dose varie (à quelle dose la consommation devient dangereuse pour la santé). Alors que les recherches les plus récentes le situent à 2 unités par jour (20 g d’alcool par jour), les conclusions de l’étude de l’Institut Américain Contre le Cancer le placent aux alentours de 3,6 unités et les cardiologues aux alentours de 4 unités (40 g/l).

Suggérer une abstinence, comme le fait l’étude de 2016, est une forme de néo-prohibitionnisme concernant l’alcool. Elle montre une dérive inquiétante de certaines recherches. Ce qui explique sans doute cette dérive, c’est que la recherche n’était pas financée par des fonds publics, mais qu’elle l’est par des fonds privés (Fondation Melinda et Bill Gates). On connaît le penchant de Bill pour le Hamburger et le Coca Cola ! Pas vraiment un fêtard, le geek Bill. À moins que cela ne soit le retour d’un vieux puritanisme, aussi vieux que l’arrivée des premiers colons austères et puritains venus d’Europe.

CE QU’UN SCIENTIFIQUE BUVEUR DE VIN ET DE GIN TONIC ET FUMEUR DE CIGARES POURRAIT CONCLURE

  1. Que le seuil d’une consommation de risque minimum se situe entre 2 et 4 unités (20-40 g/l) par jour, mais qu’il se trouve sur la fourchette basse pour la femme (voir article précédent)[4]
  2. Que toute consommation au-dessus de ce seuil est nocive (plus vous buvez, plus vous mettez votre santé en danger).
  3. Une consommation modérée est probablement bonne pour le système cardio-vasculaire.
  4. Une consommation, même modérée, pourrait induire certaines formes de cancers rares selon les dernières études (œsophage, voies respiratoires narines, cavité nasale, bouche, gorge, pharynx).

NB : les buveurs sont aussi souvent des fumeurs et il est difficile de démêler les effets de ces deux substances dans les études, même s’il existe des analyses statistiques sophistiquées pour essayer de le faire.

5. L’association entre le cancer du sein et une consommation d’alcool modérée n’est pas actuellement avérée.  Chez les femmes consommant 35 à 44 g par jour (3.5-4,5 unité, le RR (Risque Relatif est de 1,32 (IC ; Intervalle de confiance à 95 % : 1,19 à 1,45). (Source : National Institute of Health du gouvernement britannique).

6. Une consommation modérée n’aura chez la grande majorité des sujets aucun effet sur la morbidité (maladie) ou sur la mortalité (âge de la mort)

7. Si vous pensez qu’une consommation modérée embellit votre vie, vous auriez sans doute tort de vous en priver. Si ce n’est pas le cas, il vaut mieux se mettre à l’eau ou aux boissons non alcoolisées.

ÉPILOGUE 

« Le monde sommeille par manque d’imprudence ». Jacque Brel. Jojo. Les Marquises. 1977.

« À une époque de tromperie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire. « George Orwell


[1] Claude Gilois est aussi consultant pour Vins du Monde (qu’il a créé en 1995) et pour Valade & Transandine. Il est aussi propriétaire de Terroirs du Monde et de terroirsdumondeeducation.com.

[2] Une unité correspond à 10 cl de vin (10 g d’alcool) à 12.5 0 vol ou à 25 cl de bière à 5 0 ou à 3 cl de whisky à 40 0   ou à un verre de pastis dilué dans 3 volumes d’eau. 

[3] Serge Renaud (21 novembre 1927 – 28 octobre 2012) est un scientifique français, médecin, nutritionniste, chercheur, professeur des universités.   

[4] https://www.terroirsdumondeeducation.com/blog/autres/comment-le-corps-fait-il-face-a-lalcool-et-sommes-tous-egaux-devant-sa-consommation/


[i] Bofeta P ET Garfinkel L. Alcohol drinking and mortality among men enrolled in an American Cancer Society prospective study. 1990. Epidemiol. 1.342-348.

[ii] Renaud Serge Pr. Le régime crétois.2004. Edition Odile Jacob. ISBN :2-7381-1471-7

[iii] Alcohol and Health: Praise of the J Curves. Giovanni de Gaetano  and Simona Costanzo. J Am Coll Cardiol. 2017 Aug, 70 (8) 923–925

[iv] Gronbaek M, Deis A, Sorensen TIA, Becker U, Schnohr P, Jensen G. Mortality associated with moderate intakes of wine, beer, or spirits. Br Med J 1995;310:1165-1169.

[v] Alcohol use and burden for 195 countries and territories, 1990–2016: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2016. GBD 2016 Alcohol Collaborators.

[vi] Population-level risks of alcohol consumption by amount, geography, age, sex, and year: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2020. GBD 2020 Alcohol Collaborators